Charles IX

(né le 27 juin 1550, mort le 30 mai 1574)

(Roi de France : règne 1560-1574)

Les factions avaient tellement affaibli l’ordre politique du royaume, que la régence ne fut donnée à personne, quoique le jeune roi n’eût pas atteint l’âge fixé par les lois pour gouverner en son nom. On se contenta de faire écrire au parlement, par ce jeune prince, qu’il avait prié sa mère de prendre l’administration des affaires de l’État ; et, comme on n’ignorait pas que Catherine de Médicis avait pris toutes ses mesures pour que l’autorité ne lui fût pas disputée, le parlement répondit qui il remerciait Dieu de la sage résolution inspirée au roi.


Charles IX (1560-1574)
Charles IX (1560-1574)

On ne peut qu’approuver la prudence des magistrats, qui aimèrent mieux ne pas réclamer les lois constitutives du royaume, que de réveiller entre les Guise et les princes du sang, entre les catholiques et les calvinistes, des rivalités qui auraient fait éclater la guerre civile ; mais que pouvait-on attendre d’une reine qui se croyait capable de rétablir le pouvoir royal, et n’osait pas demander la régence ?


Elle permit que le roi de Navarre fût nommé lieutenant général du royaume, parce qu’elle connaissait assez la faiblesse de son caractère pour ne pas le redouter ; et, sans réfléchir qu’entre les partis qui divisaient la France, il en était un auquel il fallait invariablement s’attacher, parce qu’il tenait aux lois fondamentales de la monarchie, elle se promit de tout brouiller pour tout écraser, et ne parvint qu’à mettre !es catholiques dans la nécessité d’attendre leur salut d’un autre que du roi.


En effet, les Guise ne se déconcertèrent pas en voyant leur crédit diminuer par la mort de François II ; ils sentirent que leur véritable force était indépendante de la cour, et que, du moment où l’autorité souffrait que les calvinistes formassent des associations politiques, la puissance réelle serait à ceux qui sauraient former une ligue catholique. Dans l’assemblée des états généraux tenue à Orléans, les partis essayèrent leurs forces, et les propositions, sous l’apparence du bien de l’Etat, n’annonçaient que l’intention de perdre ceux que l’on redoutait ; mais les attaques dirigées contre les Guise, loin de les abattre, rapprochèrent d’eux le connétable de Montmorency, qui, par son grand âge et son sincère attachement à ses rois, jouissait de la plus haute considération. L’union qu’il forma avec le duc de Guise et le maréchal de Saint-André fut appelée par les huguenots le triumvirat.


Chaque proposition faite aux états généraux n’ayant d’autre résultat que d’augmenter les animosités, Catherine de Médicis crut devoir ajourner l’assemblée au mois de mai ; et lorsque cette époque fut arrivée, elle recula devant le danger de mettre de nouveau les partis en présence ; mais comme les calvinistes, fiers de la protection secrète qu’ils trouvaient à la cour, en profitaient pour attaquer les prêtres, qu’on n’entendait parler de tous côtés que de tumultes et de massacres, on crut devoir assembler le parlement, où se rendirent le roi, la reine mère, les princes du sang et les pairs.


La grande difficulté consistait à faire cesser les querelles de religion, sans parler de religion ; car on convenait que tout ce qui tient au dogme ne pouvait être décidé que par un concile. Cette difficulté était insurmontable ; on l’éluda en défendant les assemblées séditieuses, et en suspendant l’exécution des mesures précédemment ordonnées contre les calvinistes ; c’est sur cette base que fut dressé quelques jours après, à Saint-Germain, le fameux édit de juillet, édit qui mécontenta les catholiques, parce qu’il ne les vengeait pas, et qui rendit les calvinistes furieux, parce qu’ils n’en étaient plus à vouloir se contenter d’une simple tolérance.


La reine mère, sans consulter le pape, avait autorisé une conférence entre les docteurs des deux religions : c’est ce qu’on nomme le colloque de Poissy, tenu au mois d’août 1561. Chaque orateur s’y attribua la victoire, comme il arrive toujours dans les discussions de ce genre ; cependant les propositions des calvinistes révoltèrent le roi de Navarre, qui, dès ce moment, se réunit au connétable, au duc de Guise et au maréchal de Saint-André.


La reine, effrayée de se voir abandonnée par le premier prince du sang, se jeta dans les bras du prince de Condé et de l’amiral Coligny, chefs déclarés des huguenots, et c’est alors qu’elle accorda l’édit de janvier 1562, édit si favorable aux religionnaires qu’ils crurent n’avoir plus rien à ménager : aussi se portèrent-ils dans Paris même à des violences qui annonçaient la ruine de la religion de l’Etat. Catherine de Médicis était d’autant plus embarrassée, que les Guise s’étant éloignés de la cour, le prince de Condé et l’amiral Coligny ne se donnaient plus la peine de cacher le mépris qu’ils avaient pour sa personne ; elle sentait trop tard qu’en flattant tour à tour les factions, elle avait perdu toute autorité, et que la guerre civile devenait inévitable.


Le duc de Guise se vit recherché à la fois par la cour qui le redoutait, et par les Parisiens qui avaient besoin d’un défenseur ; il se dirigea sur Paris. En passant près de Vassy en Champagne, ses gens se prirent de dispute avec des calvinistes qui chantaient des psaumes dans une grange ; il se présenta pour apaiser le tumulte, et fut frappé d’une pierre qui lui mit le visage en sang : aussitôt ceux qui l’accompagnaient tombèrent sur les huguenots, et en passèrent une soixantaine au fil de l’épée.


Cette action fit grand bruit parmi les réformés, qui la commentèrent, et la présentèrent dans tous leurs temples comme le signal de la guerre. Le duc de Cuise fut reçu dans la capitale avec des transports de joie qu’il serait impossible de décrire : ce n’était plus simplement un héros, c’était l’appui des fidèles, le protecteur de l’Eglise.

Selon l’esprit de la monarchie, les deux factions voulaient avoir le roi en leur puissance, afin de ne pas paraître rebelles ; le duc de Guise l’emporta et le monarque vint de Fontainebleau à Paris, où la reine mère l’accompagna, quoiqu’elle fît dans le même temps des démarches pour se rapprocher du prince de Condé ; ce qui ne servit qu’à prouver sa faiblesse et à la rendre suspecte aux deux partis.


Le prince de Condé, ayant manqué l’occasion de se saisir du roi, ne pouvait plus prendre les armes sans être accusé de rébellion. Il frémit des malheurs auxquels il allait exposer sa patrie ; mais un chef de faction, quelle que soit la violence de son caractère, s’aperçoit bientôt que ceux qui le secondent sont encore plus violents que lui. Tandis qu’il délibérait, les calvinistes se soulevaient de tous côtés ; il n’était plus temps d’hésiter ; il se jeta dans Orléans, dont il fit la place d’armes de son parti. Au même instant, les siens se saisissaient d’un grand nombre de villes ; partout où ils étaient les plus forts, ils dépouillaient les églises, massacraient les prêtres et toutes les personnes vouées à la religion, et leurs chefs n’avaient point honte de livrer le Havre aux Anglais, pour gage du traité qu’ils faisaient avec eux.


On peut juger combien cette action fut odieuse aux bons Français, et combien elle rehaussait la gloire du duc de Guise, qui, sous le règne de Henri II, avait eu l’honneur d’enlever à l’Angleterre Calais qu’elle possédait depuis deux siècles. Les huguenots avaient pris trop de villes pour pouvoir les défendre : ils en perdirent la plus grande partie en peu de jours. Le roi de Navarre fut blessé à mort en faisant le siège de Rouen, qui revint également au parti catholique.


Le duc de Cuise prouvait aux rebelles qu’il n’avait rien perdu de cette activité qui le distinguait entre mes guerriers de son siècle. Il les battit à Dreux, le 15 décembre 1562. Dans cette bataille, le connétable de Montmorency fut fait prisonnier par les huguenots et le prince de Condé par les catholiques ; le maréchal de Saint-André y perdit la vie. Le duc de Guise mit aussitôt le siège devant Orléans ; la prise de cette ville devait ruiner le parti calviniste.


Le duc était à la veille de s’en rendre maître, lorsqu’il fut assassiné, le 15 février 1563, par Poltrot, jeune gentilhomme du parti calviniste, qui lui tira un coup de pistolet. La blessure ne paraissait pas mortelle. Mais les balles étaient empoisonnées, et le duc mourut le 24 du même mois, à l’âge de 44 ans, plus grand encore à ses derniers moments qu’il ne l’avait été à la tête des armées. « Si votre religion vous apprend à tuer celui qui ne vous a jamais offensé, dit-il à son assassin, la mienne m’ordonne de vous pardonner ; allez, je vous renvoie en liberté. » Il conseilla au roi et à la reine mère de transiger avec les partis, afin de chasser les étrangers du royaume.


Ses conseils furent suivis ; les factions signèrent un traité le 18 mars, et le Havre fut repris aux Anglais le 27 juillet. Le roi, ayant été déclaré majeur la même année 1563, partit, accompagné de sa mère, pour visiter les provinces. Il eut à Bayonne une entrevue avec Isabelle, sa sœur, épouse de Philippe II, roi d’Espagne ; les calvinistes en conçurent de l’ombrage jusqu’à reprendre les armes, et former le projet d’enlever le roi lorsqu’il revenait à Paris.


Il en fut averti comme il sortait de Meaux. Il se mit au milieu d’un corps de Suisses, les anima par son intrépidité ; et, après bien des dangers, il arriva dans la capitale le 29 septembre au soir, ayant été quinze heures à cheval sans prendre aucune nourriture. Cette tentative des huguenots lui fit une impression d’autant plus profonde, qu’il était dans l’âge où l’on ne pouvait plus prétendre à le servir malgré lui ; on s’attaquait à sa personne, on bravait son autorité : quel roi aurait pu supporter patiemment une pareille injure, et combien la nécessité de la dissimuler devait amasser de haine dans un cœur naturellement fier !


Dès son enfance, Charles IX avait annoncé les qualités qui font les grands princes ; brave, aimant la gloire, infatigable, d’un esprit vif et pétulant, heureux en réparties, ayant du goût pour les lettres ; on ne pouvait lui reprocher qu’un excès de forces, qu’il employait à des exercices au-dessous de son rang. Mais, pour le condamner même sur ce point, il faudrait oublier les moyens employés par Catherine de Médicis pour le corrompre et pour l’empêcher de se mettre à la tête des armées.


S’étant aperçu un jour que le vin avait altéré sa raison, il jura de ne plus en boire, et tint son serment. Que ne pouvait-on pas attendre d’un prince de vingt ans, capable de prendre un tel empire sur lui-même ! Heureux si la violence de son caractère lui avait donné le courage de se séparer de sa mère ; mais, au milieu des factions, il fut facile à cette femme artificieuse de lui montrer des ennemis partout, de lui faire croire qu’il ne trouverait fidélité qu’en elle, et de plier à la dissimulation un cœur auquel la nature avait donné toutes les qualités, et même les défauts les plus opposés à ce vice.


S’il avait été le maître de sa conduite, il n’aurait pas caché à Coligny la haine qu’il avait conçue contre lui depuis la tentative de Meaux, et, se mettant à la tête des catholiques, il aurait en peu de temps réduit la faction opposée ; mais cela n’entrait point dans les vues de la reine mère, qui, dans l’espérance de voir périr les chefs des deux partis, et de gouverner ensuite sans contradiction, craignait que son fils ne fût véritablement roi.


Après la bataille de Saint-Denis, gagnée le 10 novembre 1567 par le connétable de Montmorency, qui mourut des blessures qu’il y reçut, Catherine de Médicis, au lieu de poursuivre les calvinistes, s’empressa de négocier, et le 15 août 1570, fut signé un nouvel édit de pacification, que le peuple nomma la paix boîteuse ou la paix mal assise. Elle était appelée ainsi parce qu’elle avait été conclue, au nom du roi, par Biron et Mesmes, dont le premier était boîteux, et l’autre portait le nom de sa seigneurie.


Les calvinistes, forts des ménagements que la cour avait pour eux, retinrent une partie des places qu’ils devaient rendre, et continuèrent à entretenir des intelligences avec l’Angleterre et les princes d’Allemagne ; les massacres entre eux et les catholiques recommencèrent ; ce qui prouve que l’autorité royale devait enfin renoncer à tenir la balance entre deux partis irréconciliables, dont l’un portait les armes contre son roi et contractait alliance avec les étrangers.

La guerre civile éclata de nouveau. Le duc d’Anjou, depuis Henri III, fut mis à la tête de l’armée royale. Rien ne fait mieux comprendre l’ascendant de Catherine de Médicis ; car Charles IX était jaloux du duc d’Anjou son frère, et n’osa cependant lui refuser un commandement qu’il brûlait de prendre lui-même. Le prince de Condé fut tué le 15 mars 1569, à la bataille de Jarnac, et l’amiral de Coligny battu à Montcontour, le 3 octobre de la même année.


Catherine de Médicis profita de la jalousie que le roi prenait des victoires remportées par son frère, pour l’amener à traiter de nouveau avec les calvinistes. La paix fut signée le 15 août 1570. A en examiner les articles, ou croirait qu’on ne battait les rebelles que pour avoir le plaisir de leur assurer de nouveaux avantages ; ils furent si grands cette fois, que les historiens ont cru généralement que la reine ne consentit à tout accorder qu’avec le projet formé d’employer la trahison pour faire périr les chefs du parti.


Sans doute ils conçurent le même soupçon, car ils furent longtemps sans céder aux caresses qu’on leur prodiguait pour les attirer à la cour. Le 26 novembre 1570, Charles IX épousa Elisabeth, fille de l’empereur Maximilien II ; les chefs des calvinistes ne purent refuser de paraître aux fêtes données à cette occasion ; mais ils avaient soin de ne se livrer jamais tous à la fois.


Enfin la défiance s’apaisa peu à peu ; l’amiral de Coligny ne fut pas insensible à l’ambition de passer pour gouverner le conseil du monarque, et le mariage du jeune roi de Navarre, depuis Henri IV, avec Marguerite, sœur de Charles IX, sembla bannir tous les soupçons. Ce mariage se fit le 18 août 1572.


La première tentative d’assassinat sur l’amiral eut lieu le 22 du même mois ; le 24 fut donné le signal de la Saint-Barthélemy, massacre qui dura sept jours, et dans lequel il fut tué plus de 5 000 personnes à Paris seulement. L’exemple de la capitale ne fut que trop bien suivi dans la plupart des provinces. Coligny fut massacré dans son lit par un nommé Bême ; les enfants du duc de Guise, qui reprochaient à l’amiral l’assassinat de leur père, dirigèrent la main qui le frappa, et vinrent assouvir leur vengeance sur son cadavre, qui fut pendu par les pieds au gibet de Montfaucon, après avoir été exposé aux insultes de la populace.


Le jeune prince de Condé et le roi de Navarre ne sauvèrent leur vie qu’en abjurant ; mais ils profitèrent d’une occasion favorable pour s’éloigner de la cour. Désavouant alors une religion qu’ils n’avaient embrassée que par violence, ils se mirent à la tête des calvinistes, et tant de sang répandu ne servit qu’à faire éclater la guerre civile, pour la quatrième fois depuis le règne de Charles IX.


La constance avec laquelle ils défendirent la Rochelle, que l’armée royale ne put prendre, dut révéler à Catherine de Médicis toute la faiblesse de sa politique ; car aucun des chefs dont elle avait désiré la mort, dans l’espoir d’être maîtresse du gouvernement, n’avait survécu, et l’autorité royale n’en était pas plus affermie. C’est une grande folie de croire que les factions puissent manquer de chefs ; le jeune duc de Guise fut bien plus dangereux que son père, et le roi de Navarre prouva qu’il pouvait à lui seul remplacer tous les princes du sang.


Depuis la Saint-Barthélemy, Charles IX, poursuivi par les remords, conçut pour sa mère une aversion qu’il lui était impossible de dissimuler ; aussi chercha-t-elle à regagner sa confiance en briguant pour le duc d’Anjou le trône de Pologne, auquel il fut en effet appelé. Mais cet éloignement, en apaisant la jalousie du roi, ne fit que le confirmer dans la résolution de gouverner par lui-même, et d’abattre enfin des partis plus terribles encore pour l’autorité royale qu’ils avilissaient, que pour le royaume qu’ils mettaient au pillage.


Assidu à son conseil, il commença par diminuer les impôts, et éloigna les femmes auxquelles il avait jusqu’alors accordé trop d’empire sur lui ; mais cette résolution fut prise trop tard : le coup était porté ; il mourut le 31 mai 1574, dans la 24e année de son âge, et la 14e de son règne. Henri III lui succéda.


Nous avons esquissé le caractère de ce roi avant de raconter le massacre de la Saint-Barthélemy ; car on supporterait difficilement que l’historien, dont le devoir cependant est de ne dissimuler ni le mal ni le bien, rendit justice à un prince présenté au jugement des siècles comme le bourreau de ses sujets. Ce prince ne comptait alors que vingt-deux ans ; sa couronne avait sans cesse été menacée ; il fut entraîné, et mourut de la violence de ses remords, en remerciant Dieu de ne pas lui avoir accordé d’enfants, car il craignait les chances d’une nouvelle minorité.


S’il n’excita aucune pitié, quel sentiment réservera-t-on à celle qui ne fit servir l’autorité d’une mère qu’à le conduire dans cette déplorable situation où le pouvoir royal était réduit à employer le crime, sans même avoir la certitude d’y trouver son salut ? Charles IX aimait beaucoup la chasse, et se plaisait à montrer sa force, en abattant d’un seul coup la tête des animaux qu’il rencontrait.


On a dit qu’il exerçait sur les bêtes à répandre le sang de ses sujets ; c’est faire de l’esprit sur une matière qui s’y prête difficilement. On a de lui un ouvrage que Villeroy publia en 1625 sous le titre Chasse royale composée par Charles IX ; c’est l’unique édition.


Ce prince ne laissa pas d’enfants d’Elisabeth, son épouse ; il eut d’une de ses maîtresses, nommée Marie Touchet, Charles, duc d’Angoulême. C’est sous le règne de Charles IX que fut bâti le palais des Tuileries (1564). Le 4 juillet de la même année, Charles rendit à Lyon une ordonnance par laquelle il fixait le commencement de l’année au mois de janvier. Il fut le premier des rois de France qui autorisa les secrétaires d’État à signer pour lui dans certains cas. Charles IX cultiva et favorisa les lettres. Il est même resté quelques vers de lui, parmi lesquels on cite cet impromptu :

François premier prédit ce point,
Que ceux de la maison de Guise
Mettraient ses enfants en pourpoint
Et son pauvre peuple en chemise.