Surnommé le Sage, Charles V est le fils du roi Jean et de Bonne de Luxembourg. Né à Vincennes le 21 janvier 1338, il succéda a son père le 8 avril 1361, et fut sacré à Reims le 19 mai de la même année. Ce prince n’était point étranger à l’art de gouverner, puisqu’il avait deux fois exercer la régence sous le règne précédent, et que, par une prudence bien au-dessus de son âge, il avait sauvé l’autorité royale des factions qui voulaient l’anéantir.
Instruit par les troubles civils à démêler ce qui est bon, juste et utile, de ce que les hommes applaudissent ou blâment avec une égale chaleur, selon le succès, il forma en montant sur le trône, la résolution de poursuivre les Anglais jusqu’à ce qu’il leur eût enlevé tout ce qu’ils possédaient en France, et de ne jamais paraître à la tête de ses armées ; résolution fort extraordinaire à cette époque chevaleresque, où l’on n’estimait rien au-dessus du courage personnel.
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Renfermé dans son cabinet, entouré de ministres fidèles, demandant des conseils avec cette simplicité qui n’appartient qu’aux esprits assez forts pour ne pas craindre d’être trompés, il fut plus habile dans le choix de ses généraux qu’un prince qui aurait eu des prétentions à la gloire militaire ; il honora de son amitié les grands capitaines, les récompensa généreusement, et ne leur permit jamais de rien entreprendre au delà de ses ordres ; car il savait seul qu’il ne faisait pas la guerre pour illustrer son règne, mais pour assurer le bonheur de la France.
Aussi économe que s’il avait craint de retomber dans la pénurie qu’il éprouva pendant sa première régence, il assembla souvent les états généraux, et en obtint d’autant plus facilement des secours, qu’on savait qu’il n’était pas sans ressource : les peuples ne se montrent guère avares qu’avec les princes nécessiteux. Le traité de Brétigny prolongeait entre l’Angleterre et la France un état de paix d’autant plus déplorable pour cette dernière puissance, qu’Edouard III ajoutait chaque jour à ses prétentions. D’ailleurs, si les hostilités étaient suspendues entre les armées royales, les Français et les Anglais ne se combattaient pas moins sous le nom de leurs alliés.
Le différend élevé pour le duché de Bretagne, entre la maison de Montfort, soutenue par l’Angleterre, et la maison de Blois, protégée par la France, fut décidé en faveur du comte de Montfort, à la sanglante journée d’Auray, le 29 septembre 1364. Charles V ne voulut point s’opposer à l’élévation du comte de Montfort, dans la crainte qu’il ne fît hommage de la Bretagne à Edouard, son protecteur et son beau-père ; il le reconnut pour duc, reçut ses serments, sur lesquels il ne comptait pas ; mais il gagna par cette sage politique l’amitié de la noblesse bretonne, et Olivier de Clisson passa à son service.
Il possédait déjà Bertrand Duguesclin, qui, vainqueur en Normandie des troupes du roi de Navarre, venait de lui envoyer prisonnier leur commandant Jean de Grailly, captal de Buch, le digne rival des plus grands généraux de cette époque ; Charles V lui rendit la liberté, dans l’espoir de se l’attacher ; mais le captal de Buch préféra suivre la fortune d’Edouard. Fait prisonnier une seconde fois, il mourut à Paris, dans une tour du Temple, après quatre ans de captivité.
Les guerriers célèbres jouissaient alors d’une indépendance dont il faut chercher la cause dans les désordres des règnes précédents. Il s’était formé des compagnies qui ne visaient que de pillage, qui ne connaissaient d’autre patrie que leur camp, d’autre prince que celui qui les payait ; ces hommes accoutumés à une vie licencieuse, capables de tous les crimes pour avoir de l’or, n’étaient cependant pas étrangers à l’admiration qu’inspire un grand courage. Le capitaine dont les beaux faits d’armes occupaient la renommée ne les appelait point en vain, et souvent ils préféraient la part qu’il leur assignait sur des conquêtes à faire, à la solde réglée que leur offrait un roi.
On traiterait de nos jours comme des brigands ces guerriers alors protégés par le droit des gens, dont les chefs étaient et donnaient des couronnes, et que les souverains se disputaient. Charles V, voulant débarrasser son royaume des compagnies qui le désolaient, s’adressa à Du Guesclin, qui les appela, les conduisit en Espagne contre Pierre le Cruel, et les provinces de France commencèrent à jouir de quelque repos. Le prince de Galles avait trop de vertus pour estimer Pierre le Cruel ; mais il crut devoir le soutenir contre les Français.
Des avantages qu’il remporta en faveur de ce roi, il ne résulta pour lui que la malheureuse nécessité d’augmenter les impôts en Guyenne ; dès lors il s’y forma un parti de mécontents, dont les chefs adressèrent leurs réclamations au roi de France. Malgré sa politique, Edouard III s’était abusé sur le caractère de Charles V ; ne le voyant point commander les armées, il crut qu’il avait pour la guerre un éloignement dont il lui serait facile de profiter.
Son étonnement fut extrême lorsqu’il apprit que la cour de France avait fait sommer le prince de Galles de venir répondre aux plaintes portées contre lui, et que, sur son refus de comparaître, un arrêt du parlement avait confisqué au profit de la couronne tous les fiefs possédés par les Anglais. L’exécution fut rapide dans la Guyenne et dans le comté de Ponthieu. Charles V, le premier de nos rois qui ait connu l’importance d’une bonne administration appliquée à l’art militaire, n’avait rien négligé pour assurer le succès de ses desseins.
Afin d’attacher les Français à une guerre vraiment nationale, les prédicateurs reçurent de sa part l’invitation d’employer leur ministère à faire connaître à tous la bonté de ses droits, et les chefs du clergé ordonnèrent des jeûnes et des prières pour attirer sur ses armées la protection du ciel. Edouard, prévenu par cette déclaration de guerre faite avec tant de solennité, eut recours à ses alliés, qui furent battus, intimidés ou séduits avant qu’il pût venir à leur secours.
En 1370, il envoya une armée nombreuse et bien aguerrie, qui parcourut le Vermandois, la Champagne, la Brie, et parut aux portes de Paris sans trouver l’occasion de livrer une bataille. Charles, qui venait d’élever Du Guesclin au rang de connétable, ne lui avait donné que peu de troupes, afin qu’il ne pût contrevenir à l’ordre formel de ne point engager d’action générale. Le connétable augmenta sa petite armée à ses propres dépens, suivit les Anglais, les harcela, et les battit si bien en détail, que leur général, resté presque seul, eut beaucoup de peine à se sauver.
Le roi de Navarre, effrayé de la prudence de Charles V, renonça à l’alliance d’Edouard, et fit sa paix avec la France. La faible santé du prince de Galles ne permettait plus à ce jeune héros de déployer l’activité qui jusqu’alors l’avait rendu si redoutable ; il fit un dernier exploit en se rendant maître de Cognac, et partit pour l’Angleterre. Ce départ fut favorable au roi, vers lequel se tournèrent les compagnies, qui ne se battaient que pour le prince qui les payait le mieux. Le bon ordre que Charles mettait dans ses finances lui permit de s’attacher ainsi une grande partie des troupes qui jusqu’alors avaient combattu pour ses ennemis.
En 1372, Edouard, voulant rétablir ses affaires et soutenir sa vieille réputation, envoya deux armées, l’une en Poitou, l’autre sous la conduite de Montfort, duc de Bretagne ; la première fut défaite à la vue de la Rochelle par la flotte du roi de Castille, qui devait sa couronne à Du Guesclin ; et les Rochelois se donnèrent à la France à des conditions qui assuraient leurs libertés ; la seconde armée anglaise n’osa descendre en Bretagne, parce que les barons de ce pays, loin d’approuver la conduite de leur duc, voulaient se maintenir en paix avec un roi à la cour duquel ils trouvaient de l’emploi, des honneurs et de la fortune. Après avoir parcouru quelques provinces de France, cette armée de 30 000 combattants se trouva réduite à 6 000, qui furent trop heureux de pouvoir se sauver à Bordeaux.
Il serait impossible de trouver un règne moins célèbre par ses victoires, et plus heureux contre ses ennemis. Sur les instances du pape, il fut conclu, en 1373, une trêve, dans laquelle le duc de Bretagne n’étant pas compris, il se vit réduit à rentrer dans ses Etats, en se mettant pour ainsi dire à la merci de ses barons.
Edouard, déjà avancé en âge, averti par la mort récente du prince de Galles, qui ne laissait qu’un fils en bas âge, des dangers qui menaçaient l’Angleterre sous une minorité, pensa dès lors à traiter de la paix. Mais le souvenir de ses anciens succès l’arrêtant sur les sacrifices nécessaires pour en assurer la durée, il mourut avant qu’elle fût conclue ; et Charles V, déjà plus fort que ce monarque, qui depuis un demi-siècle avait causé tant de maux à la France, acquit un ascendant qui ne se démentit pas, réunit à la couronne le Poitou, la Saintonge, le Rouergue, une partie du Limousin, le comté de Ponthieu, et la Guyenne, à l’exception de Bordeaux.
Le duc de Bretagne s’étant de nouveau révolté en 1379, et ayant cherché un asile en Angleterre, Charles crut devoir le traiter avec rigueur ; mais les Bretons, qui, quelques années auparavant, avaient pris parti pour la France contre leur duc, le soutinrent quand la France parut vouloir attenter à leur liberté. Cette guerre ne fut pas heureuse pour le roi ; il en eut tant de dépit qu’il ordonna à tous les Bretons qui refuseraient de le servir de quitter le royaume, quoiqu’il sentît assez l’injustice de ce procédé pour n’oser confier le soin de réduire la Bretagne à Du Guesclin, qui y était né.
Cet illustre guerrier mourut le 13 juillet 1380 ; Charles le Sage ne lui survécut pas longtemps, étant mort à Vincennes, le 16 septembre de la même année, la 43e de son âge, et la 17e de son règne. Il laissa de son mariage avec Jeanne de Bourbon, deux fils mineurs, Charles VI, qui lui succéda, et Louis, qui fut duc d’Orléans.
Jusqu’alors la minorité des rois, non seulement se prolongeait jusqu’à leur vingtième année, mais tous les actes du gouvernement se faisaient au nom du régent, ce qui donnait une autorité dangereuse. En 1374, Charles V avait assemblé les prélats, les seigneurs, les bourgeois notables et l’université, et, après avoir pris leurs conseils, il avait fixé, par une ordonnance, la majorité de ses successeurs à quatorze ans ; c’est-à-dire qu’il décida qu’à cet âge ils seraient capables d’être sacrés, et de recevoir directement les hommages et les serments de fidélité de leurs sujets.
Il confirma cette ordonnance à l’article de la mort, nomma pour régent Louis, duc d’Anjou, l’aîné de ses frères, et confia la garde de ses enfants aux ducs de Bourgogne et de Bourbon, leur recommandant de faire la paix avec la Bretagne, et de marier son fils dans quelque puissante maison d’Allemagne.
Egalement occupé de ses sujets et de sa famille, il supprima formellement la plupart des impôts auxquels les peuples avaient consenti pendant son règne. On trouva dans ses coffres 17 millions, somme considérable, si l’on se reporte au prix de l’argent à cette époque. Les historiens modernes ont blâmé dans les princes cette prévoyance si rare qui les engage à thésauriser, prétendant que la seule richesse des rois doit se trouver dans la richesse publique, et que l’or qu’ils amassent arrête les progrès du commerce et de l’agriculture ; mais il y a des temps où ceux qui gouvernent ne sont maîtres que de l’argent qu’ils possèdent, et où la possibilité de suivre des projets grands et utiles repose pour eux uniquement sur les trésors qu’ils ont amassés.
Charles V n’avait que 43 ans lorsqu’il mourut ; ses armées étaient nombreuses, mais les Anglais possédaient encore Bordeaux, Calais, Cherbourg, Bayonne et plusieurs forteresses considérables ; il est permis de croire que ses économies étaient une conséquence nécessaire des projets qu’il méditait. La prévoyance active de ce monarque a empêché de remarquer jusqu’à quel point il craignait de compromettre son autorité.
Mais, pour connaître combien il en était jaloux, il suffit d’observer les précautions qu’il prit pour que l’empereur Charles IV ne pût s’attribuer aucune préséance dans le voyage qu’il fit en France en 1378 : il le reçut avec magnificence, lui témoigna les plus grands égards, l’accabla d’honneurs, et se tint cependant toujours au-dessus de lui, afin que les Français ne pussent douter un instant que, dans leur patrie, il n’y a point de titre supérieur à celui de roi.
Le surnom donné à Charles V par ses contemporains l’emporte sur les éloges emphatiques prononcés en son honneur dans nos académies : en effet, que peut-on ajouter à l’idée de la sagesse
réunie au pouvoir souverain ? Chartes V aimait les lettres et les protégeait ; la bibliothèque du roi lui doit son origine ; il était parvenu, à force de soins, à rassembler neuf
cents volumes. Paris lui dut plusieurs édifices ; il fit construire la forteresse de la Bastille.