Charles VII le Victorieux

(né le 22 février 1403, mort le 22 juillet 1461)

(Roi de France : règne 1422-1461)

Surnommé le Victorieux, fils de Charles VI, il naquit le 22 février 1403, devint dauphin en 1416, après la mort de son frère Jean. Malgré la maladie de son père, il n’eut d’abord que peu de part au gouvernement, et cette faible portion d’autorité ne servit qu’à lui attirer la haine de sa mère ; mais bientôt, de concert avec le connétable d’Armagnac, il fit saisir les biens de la reine, au moment où cette princesse fut exilée.


Se trouvant à la tête des affaires après cet exil, Charles fit une réponse pleine de dignité à un héraut du duc de Bourgogne, dont la troupe environnait la capitale : « Si ton maître, lui dit-il, veut que nous le tenions pour loyal parent, vassal et sujet, qu’il aille plutôt combattre le roi d’Angleterre, ancien ennemi de ce royaume, etc. » Bientôt après, obligé de fuir de Paris, livré à la fureur des Bourguignons, le dauphin se rendit à Bourges et ensuite à Poitiers, où il fut joint par un grand nombre de gentilshommes attachés à leur légitime souverain.


Charles VII le Victorieux (1422-1461)
Charles VII le Victorieux (1422-1461)

Il prit alors le titre de régent, au lieu de celui de lieutenant général que lui avait donné son père, soumit plusieurs villes, établit un parlement, et résista longtemps aux instances de sa mère et du duc de Bourgogne qui sentaient le besoin de son retour à Paris, pour l’y tenir dans leur dépendance.


Il se refusa à tous les arrangements qui auraient conservé le pouvoir au duc de Bourgogne. Cependant, voyant ce dernier en négociation avec Henri V, roi d’Angleterre, et prêt à se liguer avec les véritables ennemis de la France, il consentit à se rapprocher de lui, et les deux princes eurent, en 1419, à Pouilly-le-Fort, une entrevue où ils se donnèrent réciproquement des témoignages d’estime, et signèrent un traité par lequel ils devaient gouverner conjointement et réunir leurs forces contre les Anglais.


Mais cet heureux arrangement ne s’exécuta jamais, et chaque parti ne cessa de songer à de nouveaux pièges, à de nouvelles hostilités, jusqu’à l’assassinat du duc de Bourgogne, qui eut lieu dans une seconde entrevue à Montereau. Le dauphin essaya vainement de se justifier de ce meurtre dans des manifestes ; la reine, indignée, fit adresser, au nom du roi, à toutes les villes du royaume, une déclaration contre son fils et « ses complices, meurtriers du duc de Bourgogne, ordonnant à tous les Français de se retirer de son service ; et, afin que chacun sache la mauvaiseté dudit Charles, ajoutait le roi, nous voulons que les présentes soient publiées toutes les semaines. »


Charles VI, dont la folie était alors à son comble, déshérita même son fils, en 1420, par l’odieux traité de Troyes, qui rendait Henri V, roi d’Angleterre, héritier du royaume de France, et lui en donnait dès lors la régence, avec la main de Catherine, fille de Charles VI. Mais le dauphin ne se laissa point abattre ; il parcourut les provinces méridionales, s’empara de plusieurs places, et obtint sur la Loire quelques succès contre les Anglais, par le moyen d’un secours qui lui fut envoyé d’Ecosse.


Dans le même temps, ses troupes étaient battues en Picardie, et la place de Meaux lui était enlevée par Henri V. La mort de ce dernier, qui semblait devoir être pour Charles un heureux événement, fut l’époque où il se vit abandonné par plusieurs de ses partisans, et notamment par le duc de Bretagne, à qui l’on persuada que ce jeune prince avait formé le projet de l’assassiner.


Ce fut dans ces circonstances que le malheureux Charles VI mourut. Le duc de Bedford, qui avait pris les rênes du gouvernement depuis la mort de Henri V, avait trop d’expérience pour compter sur la persévérance des Français à préférer un prince étranger à leur roi légitime ; aussi ne négligea-t-il aucun moyen d’atténuer l’effet que devait produire la mort de Charles VI. Il redoubla de soins pour maintenir Paris dans la faction bourguignonne, et, sans donner à l’héritier de la couronne le temps de respirer, il livra aux troupes de son parti plusieurs combats dans lesquels il eut toujours l’avantage.


Après la bataille de Verneuil, donnée en 1424, Charles VII devait succomber ; mais une querelle qui s’éleva entre les Anglais et les Bourguignons, pour la possession de la Flandre, éloigna la guerre des bords de la Loire, pour la porter dans le Hainaut, et Charles eut le temps de raffermir la fidélité de ses partisans et de recréer son armée. Ne pouvant espérer aucune conciliation avec le duc de Bourgogne, qui ne voyait dans son roi que l’assassin de son père, il essaya de gagner le duc de Bretagne, et, pour mieux le séduire, il fit connétable, en 1425, le comte de Richemont, frère de ce duc, avec lequel il parvint en effet à traiter l’année suivante.


Le duc de Bedford, après avoir apaisé le duc de Bourgogne, en reconnaissant la justice de ses prétentions sur la Flandre, fit assiéger Orléans. Du sort de cette ville dépendait le destin du royaume. Les bourgeois, fidèles à leur duc, alors prisonnier en Angleterre, et du même parti que le roi, se défendirent avec le plus grand courage ; mais les Anglais et les Bourguignons resserraient chaque jour la place, et le défaut de vivres aurait forcé les habitants à se rendre, si le duc de Bourgogne, piqué d’un refus que venait de lui faire le duc de Bedford, n’avait ordonné à ses troupes de se retirer.


L’armée royale parvint à introduire des vivres dans Orléans ; mais un second convoi ayant été intercepté, il ne restait plus de ressources, et le roi pensait à se retirer en Provence, quand une jeune paysanne, nommée Jeanne d’Arc, et à jamais célèbre sous le nom de la Pucelle d’Orléans, vint ranimer ses espérances, en lui promettant, au nom du ciel, de faire lever le siège d’Orléans, et de le conduire à Reims pour y être sacré.


Aucun fait historique n’est à la fois plus extraordinaire et plus au-dessus de toute contestation. Le plus difficile pour Jeanne était de faire croire à la vérité de sa mission ; car Charles VII avait trop de bon sens pour ne pas sentir tout ce qu’une confiance déplacée pouvait lui attirer de railleries de la part des Anglais, qui déjà ne l’appelaient que le petit roi de Bourges, et même de la part des grands capitaines qui le servaient.


Cependant la Pucelle parvint à faire taire toutes les préventions. Par ses conseils, ses exploits, surtout par l’enthousiasme religieux qu’elle inspirait aux soldats, elle battit les Anglais dans toutes les actions engagées sous son commandement, et délivra Orléans le 8 mai 1429. Dès lors l’armée française, qui s’était contentée de harceler les Anglais, en évitant de combattre, alla au-devant d’eux, et ne chercha que les occasions de livrer bataille. La Pucelle, constante dans ses desseins, voulut conduire Charles à Reims à travers un pays où les ennemis étaient maîtres de toutes les places, entreprise qui paraissait impossible ; aussi le conseil du roi s’y opposait-il.


Elle triompha d’abord de cette résistance, et de conquête en conquête, elle mena le roi à Reims, où il fut sacré le 17 juillet 1429, quoiqu’il eût été couronné à Poitiers en 1422 ; mais la cérémonie du sacre se liait, dans les idées de la nation, à la légitimité du pouvoir ; aussi beaucoup de villes mirent-elles tant d’empressement à se soumettre, que le duc de Bedford eut besoin de toute la profondeur de sa politique pour arrêter cette disposition, et réveiller dans le duc de Bourgogne la haine qu’il avait vouée à Charles VII. Ce duc, par l’étendue de ses domaines, le nombre de ses partisans, pouvait à son gré faire pencher la balance en faveur de Henri VI ou du roi légitime.


La ville de Paris commença à prendre pour Charles victorieux d’autres sentiments que pour Charles proscrit. Dès l’année 1430, il se fit dans cette ville une conspiration en sa faveur ; les auteurs en furent découverts et punis sévèrement ; mais cette sévérité même perdit le duc de Bedford dans l’esprit des Parisiens ; car la domination de l’étranger ne paraît jamais plus odieuse que quand il est réduit à appeler les supplices à son secours.


L’année suivante, le jeune roi d’Angleterre vint à Paris se faire sacrer, et crut ranimer les esprits en sa faveur, par des fêtes qui amusèrent la populace sans lui soumettre le cœur des bourgeois : aussi ne tarda-t-il pas à se retirer à Rouen, où il fit suivre le procès de la Pucelle, qui, dans une sortie, avait été prise aux portes de Compiègne.


Ne pouvant nier ce qu’il y avait de surnaturel dans sa conduite, ses juges n’eurent pas honte de la condamner au feu comme sorcière. Elle parut sur l’échafaud ce qu’elle avait été à la tête des armées, confiante en Dieu, résignée, trop simple pour ne pas gémir de la rigueur de son sort, trop fière pour tenter de racheter sa vie par la moindre lâcheté.


Cependant les victoires du roi ne faisaient qu’augmenter la misère de la France ; car c’était son propre territoire que les armées opposées se disputaient. Charles, sensible aux malheurs de ses peuples, avait plusieurs fois essayé de fléchir le duc de Bourgogne ; la mort de la sœur de ce duc, qui était épouse de Bedford, et un nouveau mariage que celui-ci s’empressa de contracter, commencèrent à éloigner le Bourguignon des Anglais.


D’ailleurs, après quatorze années données à sa vengeance, il ne pouvait rester sourd à la voix de l’Europe, qui blâmait l’excès de son ressentiment. Plus sa puissance était grande, plus il lui était facile de prévoir que le premier soin de l’étranger serait d’abattre celui auquel il avait tant d’obligations, et qui n’avait jamais cessé de se faire redouter. En revenant à son roi, il pouvait dicter des conditions, et trouver une garantie pour l’avenir dans l’intérêt même des princes du sang et des grands de l’État.


Dès que la politique parlait plus haut que les passions, la paix devenait facile ; en effet, les conférences s’ouvrirent à Arras en 1435 et toutes les parties intéressées y envoyèrent des ambassadeurs. Les Anglais se retirèrent du congrès le 6 septembre ; le roi fit avec le duc de Bourgogne un traité humiliant, et pourtant le plus utile qu’aucun souverain ait jamais signé. Sept jours après mourut à Paris la reine mère, depuis longtemps négligée par les Anglais, odieuse à toute la France, et trop coupable envers son fils pour concevoir l’espérance de le fléchir.


La même année, le duc de Bedford termina ses jours aux environs de Rouen, et les Anglais, abandonnés des Bourguignons, privés d’un chef dont la politique les avait si bien servis, ne purent, malgré leurs efforts, conserver Paris, qui de lui-même se rendit au roi, en l’année 1436. Mais la destinée de ce prince n’était pas de jouir du pouvoir sans embarras et sans inquiétudes.


Une trêve nécessaire aux deux nations ayant suspendu les hostilités, il se forma à la cour un parti de mécontents, à la tête duquel se mit le dauphin. L’activité de Charles VII prévint les suites que pouvaient avoir, en ce moment, de nouvelles divisions dans la famille royale. La conduite qu’il tint alors aurait dû le sauver du reproche que lui font les historiens français, de n’avoir dû ses succès qu’aux talents de ses ministres et de ses généraux : les écrivains anglais lui rendent plus de justice.


C’est à lui seul, à sa volonté persévérante, que la France dut la réforme des troupes, plus dangereuses pour les paysans que pour l’ennemi : il cassa et recomposa entièrement l’armée, établit une discipline jusqu’alors inconnue, une comptabilité exacte, et lorsque le roi d’Angleterre, déjà occupé dans son île par des troubles sérieux, eut la folie de recommencer la guerre, il apprit ce que peut la France sous un gouvernement qui connaît toute l’importance d’une bonne administration appliquée à l’armée.


La Normandie fut reprise en 1450, la Guyenne en 1451 ; l’année 1458, le petit roi de Bourges envoya des troupes piller les côtes d’Angleterre, et, de tout ce que Henri VII avait possédé en France, Calais fut la seule ville qu’il put défendre avec succès contre le duc de Bourgogne, qui, après avoir été si longtemps son allié, était devenu son ennemi.

Ce duc commençait cependant à se défier de Charles VII, depuis qu’il le voyait rétabli dans toute sa puissance. Le dauphin, qui s’était une seconde fois retiré de la cour pour se rendre en Dauphiné, son apanage, avait épousé la fille du duc de Savoie, sans le consentement de son père ; le duc de Bourgogne n’appuyait pas ce prince dans sa révolte, mais quand Charles VII jugea à propos de chasser son fils de cette province, il lui donna asile dans ses Etats.


Il était assez naturel que le roi s’en trouvât offensé. L’exécution de plusieurs articles du traité d’Arras souffrait des difficultés, sur lesquelles il fallait entrer en explication, et les reproches mutuels avaient un caractère d’aigreur qui paraissait rendre une rupture inévitable, lorsque Charles VII, frappé de la crainte d’être empoisonné par les ordres et les partisans de son fils, se réduisit à un jeûne si absolu, que son estomac se trouva trop affaibli pour supporter la nourriture que ses médecins parvinrent enfin à lui faire prendre.


Il mourut à Mehun-sur-Yèvre, en Berry, le 22 juillet 1461, dans la 59e année de son âge, et la 39e de son règne, sincèrement regretté des peuples, qu’il gouvernait avec économie ; de la noblesse, à laquelle il avait ouvert des emplois lucratifs par l’heureuse réforme qu’il fit dans ses troupes, et des hommes de guerre, dont il améliora l’existence en même temps qu’il les soumit à une discipline rigoureuse. Jusqu’à lui, les soldats étaient en horreur aux bourgeois et aux paysans qu’ils pillaient sans pitié, et si la taille devint perpétuelle sous ce prince, c’est que les Français sentirent enfin l’avantage d’assurer la solde de l’armée.


Les mêmes historiens qui ont loué Charles V d’avoir fait la guerre par ses généraux ont blâmé Charles VII de n’avoir pas exposé sa personne dans les combats, quand de son existence dépendait le sort du royaume : ils oublient qu’il se mit à la tête des armées, dès qu’il se vit un successeur. Son penchant pour les plaisirs pendant sa jeunesse, sa passion pour la belle Agnès Sorel, frappent d’abord l’imagination, et empêchent de voir dans le monarque d’un âge mûr un homme propre au gouvernement, assidu au conseil, économe, et habile à profiter des circonstances.


Sans doute il fut bien servi par Xaintrailles et de Culant, par les comtes de Richemont, de Dunois, de Penthièvre, de Foix, d’Armagnac ; mais s’il avait été insensible à la gloire, aurait-il attaché tant de capitaines célèbres à sa fortune ; s’il s’était laissé mener par ses ministres, remarquerait-on un plan si suivi dans son administration ? La faiblesse de caractère est toujours accompagnée d’une grande inconstance dans les projets, et la persévérance est une qualité qui distingue Charles VII ; car il ne faut pas confondre le changement des favoris, qui n’est qu’une affaire personnelle, avec les affaires publiques, qui furent toujours dirigées d’une manière invariable.


Certains reprochèrent à ce prince de n’avoir été en quelque sorte que le témoin des merveilles de son règne : n’eût-il fait qu’assurer la discipline et la solde de l’armée, il mériterait d’être compté parmi les rois auxquels la France a les plus grandes obligations. On lui doit aussi d’avoir mis des bornes au pouvoir extraordinaire de la cour de Rome, en assemblant l’Église gallicane à Bourges, le 7 juillet 1438, pour établir la pragmatique-sanction, qui, mettant les papes dans la nécessité de solliciter comme une faveur ce qu’ils avaient l’habitude de réclamer comme un droit, amena, sous François Ier, une conciliation d’intérêts qui jusqu’alors n’avaient pu être réglés.


Charles VII, proscrit par sa mère, jouet de la démence de Charles VI, victime de la sombre ambition de son fils, trouva dans Marie d’Anjou, son épouse, une compagne fidèle, une amie sûre, dont l’âme ne pouvait se laisser abattre par le malheur. Malgré ses justes sujets de jalousie, elle refusa toujours d’entrer dans les cabales de la cour, et lorsque les mécontents cherchaient à l’aigrir, elle se contentait de répondre : « C’est mon seigneur ; il a tout pouvoir sur mes actions, et moi aucun sur les siennes. »


Il en eut plusieurs filles et trois fils, Louis XI, qui lui succéda, Philippe qui mourut jeune, et Charles, duc de Guyenne, qui ne laissa point de postérité. L’histoire de ce règne a été écrite par Jean et Alain Chartier, et par Baudot de Juilly. Martial de Paris, dit d’Auvergne, a publié les Vigiles de la mort du feu roi Charles VII, à neuf psaumes et neuf leçons, contenant la chronique, etc. (1493).