Premier affrontement sérieux de la Guerre De Cent Ans, bien avant Jeannne d'Arc, la bataille de Crécy n'est pas seulement une bataille, la prise de Calais n'est pas une simple prise de ville; ces
deux événements contiennent une grande révolution sociale. La chevalerie tout entière du peuple le plus chevalier avait été exterminée par une petite bande de fantassins. Les victoires des
Suisses sur la chevalerie autrichienne à Morgarten, à Laupen, présentaient un fait analogue, mais elles n'eurent pas la même importance, le même retentissement dans la chrétienté. Une tactique
nouvelle sortait d'un état nouveau de la société; ce n'était pas une œuvre de génie ni de réflexion. Édouard III n'était ni un Gustave-Adolphe, ni un Frédéric. Il avait employé les fantassins,
faute de cavaliers. Dans les premières expéditions, ses armées se composaient d'hommes d'armes, de nobles et de servants des nobles. Mais les nobles s'étaient lassés de ces longues campagnes. On
ne pouvait tenir si longtemps sous le drapeau une armée féodale. Les Anglais, avec leur goût d'émigration, aiment pourtant le home. Il fallait que le baron revînt au bout de quelques mois au
baronial hall, qu'il revît ses bois, ses chiens, qu'il chassât le renard. Le soldat mercenaire, tant qu'il n'était pas riche, tant qu'il était sans bas ni chausses, comme ces Irlandais, ces
Gallois que louait Édouard, avait moins d'idées de retour. Son home, son foyer, c'était le pays ennemi. Il persistait de grand cœur dans une bonne guerre qui le nourrissait, l'habillait, sans
compter les profits. Ceci explique pourquoi l'armée anglaise se trouva peu à peu presque toute de mercenaires, de fantassins.
La bataille de Crécy révéla un secret dont personne ne se doutait, l'impuissance militaire de ce monde féodal, qui s'était cru le seul monde militaire. Les guerres privées des barons, de canton à
canton, dans l'isolement primitif du moyen âge, n'avaient pu apprendre cela; les gentilshommes n'étaient vaincus que par des gentilshommes. Deux siècles de défaites pendant les Croisades
n'avaient pas fait tort à leur réputation. La chrétienté tout entière était intéressée à se dissimuler les avantages des mécréants. D'ailleurs les guerres se passaient trop loin, pour qu'il n'y
eût pas toujours moyen d'excuser les revers; l'héroïsme d'un Godefroi, d'un Richard, rachetait tout le reste. Au XIIIe siècle, lorsque les bannières féodales furent habituées à suivre celle du
roi, lorsque, de tant de cours seigneuriales, il s'en fit une seule, éclatante au delà de toutes les fictions des romans, les nobles, diminués en puissance, crurent en orgueil; abaissés en
eux-mêmes, ils se sentirent grandis dans leur roi. Ils s'estimèrent plus ou moins selon qu'ils participaient aux fêtes royales. Le plus applaudi dans les tournois était cru, se croyait lui-même,
le plus vaillant dans les batailles. Fanfares, regards du roi, œillades des belles dames, tout cela enivrait plus qu'une vraie victoire.
L'enivrement fut tel, qu'ils abandonnèrent sans mot dire à Philippe le Bel leurs frères, les Templiers; ces chevaliers étaient généralement les cadets de la noblesse. Elle fit bon marché des
moines chevaliers, tout comme des autres moines ou prêtres. Toujours elle aida les rois contre les papes. Ces décimes arrachés au clergé, sous semblant de croisade ou autre prétexte, les nobles
en avaient bonne part. Le temps venait pourtant où le noble, après avoir aidé le roi à manger le prêtre, pourrait aussi avoir son tour.
À Courtrai, les nobles alléguèrent leur héroïque étourderie, le fossé des Flamands. À Mons-en-Puelle, à Cassel, deux faciles massacres relevèrent leur réputation. Pendant plusieurs années, ils
accusèrent le roi qui leur défendait de vaincre. À Crécy, ils étaient à même; toute la chevalerie était là réunie, toute bannière flottait au vent, ces fiers blasons, lions, aigles, tours, besans
des croisades, tout l'orgueilleux symbolisme des armoiries. En face, sauf trois mille hommes d'armes, c'étaient les va-nu-pieds des communes anglaises, les rudes montagnards de Galles, les
porchers de l'Irlande ; races aveugles et sauvages, qui ne savaient ni français, ni anglais, ni chevalerie. Ils n'en visèrent pas moins bien aux nobles bannières; ils n'en tuèrent que plus. Il
n'y avait pas de langue commune pour prier ou traiter. Le Welsh ou l'Irishman n'entendait pas le baron renversé qui lui offrait de le faire riche: il ne répondait que du couteau.
. La religion de la noblesse eut dès lors plus d'un incrédule. Le symbolisme armorial perdit tout son effet. On commença à douter que ces lions mordissent, que ces dragons de soie vomissent feu
et flammes. La vache de Suisse et la vache de Galles semblèrent aussi de bonnes armoiries.
La bataille de Bouvines 1214 Cette bataille -fondatrice du sentiment national français- vit l'armée de
Philippe Auguste triompher de troupes Anglaises, Flamandes et Impériales coalisées.