Surnommé le Juste, fils de Henri IV et de Marie de Médicis, Louis XIII naquit à Fontainebleau le 27 septembre 1601. Appelé le 14 mai 1610 au trône de son père sous la tutelle et la régence de sa mère, il fut sacré à Reims le 17 octobre de la même année, déclaré majeur en 1614, et il épousa Anne d’Autriche en 1615.
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La fin tragique du bon Henri avait fait sur le monarque enfant une impression si vive et si profonde, que dans la nuit qui suivit cette catastrophe il fut agité par les songes les plus effrayants, « rêvant, dit l’Etoile, qu’on voulait aussi lui donner la mort ; de sorte que pour le calmer on fut obligé de le transporter dans le lit de la reine. » Peu d’années après, recevant l’annonce d’une visite du connétable de Castille, ambassadeur d’Espagne, qui marchait accompagné d’une grande suite de seigneurs du même pays, il demanda son épée avec une intention très marquée. On eût dit que la nature lui inspirait une forte antipathie pour une nation qui avait ourdi tant de trames contre les rois auxquels il succédait, et mis la France à deux doigts de sa perte.
A l’avènement de Louis XIII le royaume était encore agité par les factions composées, soit des débris de la ligue, soit du corps des protestants : les princes du sang, mécontents, s’étaient retirés de la cour ; mais le traité de Sainte-Menehould conclu le 16 mai 1614 et le succès des conférences de Loudun rétablirent le calme, qui toutefois ne fut pas de longue durée. On assembla les états généraux, qui n’eurent d’autre résultat que beaucoup de discours sur tous les abus anciens et nouveaux, sans qu’on parvînt à en réformer un seul.
Le jeune roi resta pendant toute son adolescence étranger aux affaires, ne s’occupant que de chasse et de plaisirs, d’exercices guerriers. Le premier acte politique auquel il s’associa fut l’arrestation du prince de Condé le 1er septembre 1616 ; il aida sa mère dans l’exécution de ce projet hardi, distribua lui-même des armes aux gardes. Mais, inspiré par les conseils de son favori Charles d’Albert de Luynes, Louis commença à songer sérieusement à la situation déplorable des affaires. Luynes, trouvant devant lui la reine mère, dont l’humeur altière et grondeuse fatiguait le roi, fit entendre à celui-ci qu’il devait sortir de la tutelle honteuse dans laquelle il était tenu au Louvre.
Il lui proposa de se soustraire à cet état de dépendance en se réfugiant soit dans l’armée des princes révoltés, soit dans le château d’Amboise, dont lui, de Luynes, avait obtenu le gouvernement, ou en se défaisant du maréchal d’Ancre, le ministre et l’âme des projets de Marie de Médicis. Louis adopta ce dernier parti. Le meurtre du favori fut décidé par lui, et il choisit lui-même le lieu de l’exécution. Quelques hommes obscurs et de mauvais renom y prêtèrent leur concours ; et quand l’assassinat eut été accompli, le baron de Vitry, chef des meurtriers, porta les dépouilles du malheureux au roi, qui leur en fit don. Louis se mit alors à la fenêtre du Louvre, dans la cour duquel retentissaient des acclamations, et se faisant porter par le colonel des Corses d’Ornano qui était dans le complot : « Grand merci à vous, mes amis s’écria-t-il. Maintenant je suis roi ».
Puis il donna l’ordre qu’on allât lui chercher les vieux conseillers de son père. Sur la nouvelle de ce qui venait de se passer, le duc d’Anjou, frère du roi, le comte de Soissons, le cardinal de Guise et d’autres seigneurs se rendirent à la cour pour le complimenter. La reine mère eut ordre de rester dans ses appartements. L’évêque de Luçon (Richelieu) se glissa aussi dans cette foule intéressée, cherchant à se maintenir en faveur, regrettant peu d’ailleurs le maréchal d’Ancre. Le roi Louis XIII distribua de nouveau les charges. Le coup d’État ayant réussi, il n’y eut pas assez de malédictions contre Concini ; le roi fut proclamé grand, généreux, magnanime. C’est ainsi que ce prince, qui n’avait pas encore atteint sa seizième année, commença de régner. Les hostilités qui avaient éclaté entre les seigneurs furent suspendues.
L’éloignement de Marie de Médicis, au joug de laquelle son fils était pressé de se soustraire, contribua aussi au retour de la tranquillité publique. Privée de ses gardes, et retenue prisonnière dans son appartement, cette princesse finit par être exilée à Blois. C’était un des résultats de la faveur subite de Charles d’Albert, duc de Luynes, depuis connétable, faveur qui causait beaucoup d’ombrage aux plus grands seigneurs du royaume : ils saisirent ce nouveau prétexte pour soulever plusieurs provinces, se rendirent auprès de la reine mère, qui avait été tirée audacieusement du château de Blois par le duc d’Epernon, et ils épousèrent sa querelle.
Ayant échoué dans leurs projets au Pont-de-Cé, où ils furent taillés en pièces, ils demandèrent et obtinrent leur pardon. Marie de Médicis, grâce à l’habileté de Richelieu, alors évêque de Luçon, eut part au traité de paix signé le 9 août 1620. Un peu plus tard, Louis XIII voulut réunir le Béarn à la couronne et contraindre les protestants à restituer les biens ecclésiastiques qu’ils avaient usurpés avant le règne de Henri IV : ils se révoltèrent.
Le roi marcha contre eux : Saumur, Sancerre, Nérac, Pons, Castillon, Sainte-Foi, Bergerac et diverses autres places de la Guyenne et du Languedoc lui ouvrirent leurs portes. Saint-Jean d’Angely ayant refusé d’en faire autant, ses remparts furent démolis. Montauban, qui était défendu par le maréchal de la Force, arrêta le cours des succès du roi ; et il fut obligé, à son grand mécontentement, que partagea bientôt toute la France, de lever le siège, pendant lequel un grand nombre de personnes de distinction avaient péri. Le duc de Mayenne fut tué dans la tranchée.
Le connétable mourut la même année 1621, et fut remplacé dans la confiance du monarque par le cardinal de Richelieu, qui, ayant eu l’adresse de captiver Louis, devint son premier ministre et l’excita à continuer la guerre. Ce prince donna une preuve remarquable de courage, lorsqu’à la tête de ses gardes il passa dans l’île de Riès, séparée du Poitou par un petit bras de mer, et en chassa le duc de Soubise, un des chefs des factieux.
Mais un des faits les plus mémorables de son règne fut le siège de la Rochelle, boulevard des calvinistes, qui étaient soutenus par l’Angleterre. Cette place résista plus d’un an, et elle aurait pu tenir encore davantage sans la fameuse digue ordonnée par Richelieu, et exécutée par Métezeau, qui rendit les secours des Anglais impossibles. Le roi, qui assista au siège, depuis le mois de mars 1628 jusqu’à la reddition de cette ville, y fit son entrée le 1er novembre et signala sa clémence, après avoir montré la plus grande intrépidité.
A la suite de cette brillante campagne, Richelieu qui s’intéressait à la gloire du prince, et qui, en même temps, voulait l’enlever aux cabales que la reine et son conseil excitaient contre son ministère, le persuada d’aller lui-même secourir le duc de Nevers, nouveau duc de Mantoue, et le défendre contre les prétentions que le duc de Savoie manifestait sur le Montferrat-Montouan. Louis XIII part de Paris au milieu d’un hiver rigoureux, force, en personne, le Pas de Suze (7 mars 1629), bat la petite armée du duc de Savoie, chasse les Espagnols de Casal, s’empare de Pignerol, et, par le traité de Querasque, conclu en 1631, met son allié en possession du duché qu’il revendiquait.
Ce traité acquit au monarque français le titre de libérateur de l’Italie. Revenu dans sa capitale avec Richelieu, il y trouva plus d’intrigues qu’il n’en avait laissé au delà des Alpes entre l’Empire, l’Espagne, Venise, la Savoie, Rome et la France. Gaston, duc d’Orléans, frère du roi, s’étant révolté par jalousie de l’autorité du cardinal, plusieurs seigneurs embrassèrent son parti, notamment le duc de Montmorency, qui aspirait à en devenir le chef : celui-ci souleva le bas Languedoc, dont il était gouverneur ; mais il fut pris les armes à la main au combat de Castelnaudary, et Richelieu lui fit trancher la tête à Toulouse le 30 octobre 1632.
En vain les Espagnols et les Allemands, irrités de nos succès guerriers, s’unirent-ils pour en arrêter le cours : leur ligue fut dissipée, grâce à l’alliance contractée par Louis XIII avec Gustave-Adolphe, roi de Suède, et plus encore grâce au courage de nos troupes. Les ennemis battus sur plusieurs points, l’orgueil de la maison d’Autriche abaissé, la conquête de la Lorraine effectuée, ainsi que celle d’une grande partie de la Catalogne, la réduction du Roussillon, tels furent pour la France les fruits de cette coalition formée contre elle.
Louis XIII ne jouit pas longtemps de ses triomphes, troublés par des murmures de l’intérieur de la France, qui à la vérité, n’arrivaient pas toujours jusqu’à lui : il n’eut même pas la satisfaction de voir la guerre terminée ; il mourut à Saint-Germain en Laye le 14 mai 1643, dans le moment où il espérait conclure une paix avantageuse ; il était alors âgé de 42 ans. Richelieu l’avait précédé de quelques mois au tombeau.
Nous avons un Mémoire fidèle des choses qui se sont passées à la mort de Louis XIII, par Dubois, l’un des valets de chambre de Sa Majesté. L’exactitude de ce journal, écrit d’un style naïf et vraiment touchant, ne permet pas d’admettre les récits qu’une foule d’écrivains ont copiés, les uns d’après les autres, sur les derniers moments de ce monarque. Dubois passe sous silence le dialogue qui est supposé avoir eu lieu, trois semaines avant la mort du roi entre lui et le Dauphin, âgé de quatre ans et demi, à la suite de la cérémonie du baptême de ce prince, qui eut pour parrain le cardinal Mazarin et pour marraine la mère du grand Condé.
Certes, il n’a pas dû répondre à son père qui lui demandait quel nom il portait maintenant : Je m’appelle Louis XIV ; mais Louis XIII aurait eu raison de repartir : Pas encore, mon fils ; au surplus, ce sera bientôt si telle est la volonté de Dieu. Le jeune Dauphin témoigna au contraire, dans les derniers jours de la vie du roi, une vive douleur à l’idée seule de le perdre. Il est également prouvé que Louis XIII mourant ne fut point abandonné ; qu’il reçut même pendant sa maladie, de la reine et de toute sa maison, les soins les plus assidus ; enfin, que, s’il exprima, une fois entre autres, le désir que l’on se dérangeât afin qu’il pût voir le jour par les fenêtres de sa chambre à coucher, c’est parce qu’il y avait toujours trop de monde autour de lui.
On a remarqué que ce prince termina sa carrière le même jour (14 mai) où il était monté sur le trône et presque à la même heure où avait eu lieu l’assassinat de son père. Il n’avait pas été aimé pendant sa vie : il ne fut pas regretté après sa mort. Louis XIII ne possédait aucune des qualités brillantes qui distinguent les grands rois ; il était d’un caractère timide et un peu sauvage. Naturellement triste, se défiant toujours de lui-même, et presque continuellement malade, il ne goûta ni les plaisirs de la grandeur ni les douceurs de la vie privée. Il craignait la représentation, excepté dans les cérémonies, qu’il aimait beaucoup. Il était essentiellement juste et religieux ; ses intentions étaient pures, son esprit droit, et il ne manquait pas de discernement. Quand il jugeait d’après lui, il jugeait bien ; et on ne le gouvernait guère qu’en le persuadant.
Les hommes, plutôt que les femmes, eurent de l’empire sur lui, et sous son règne, le titre de favori, selon l’expression du président Hénault, fut comme une charge dans l’État : mais ses favoris le trahissaient. Bassompierre, le voyant un jour fort en colère contre celui que lui-même appelait le roi Luynes, lui dit : « Sire, vous êtes bien à plaindre de vous mettre toutes ces fantaisies dans la tête. Le connétable l’est bien aussi de ce que vous prenez ces ombrages de lui ; et moi, je le suis encore plus de ce que vous me les avez découverts, car un de ces jours vous vous querellerez ensemble ; ensuite vous vous apaiserez, et c’est moi qui serai sacrifié, de même que les maris et femmes chassent les valets auxquels ils ont confié la mauvaise volonté qu’ils avaient l’un contre l’autre. » Le roi lui promit un secret inviolable vis-à-vis de Luynes, et l’assura qu’il n’en avait encore parlé qu’à son confesseur, le P. Arnoux.
Si Louis XIII avait eu des vertus éminentes, il aurait manqué de moyens pour les faire paraître au grand jour. Il n’était ni assez éclairé ni d’un caractère assez ferme pour opérer par lui-même le bien de son peuple ; mais il le désirait de bonne foi. Incapable de vastes projets, il en connaissait du moins le prix, et il les appuyait de toute son autorité. Du reste, dégoûté de la lecture dès sa plus tendre jeunesse, il ne perfectionna point par l’étude ce que la nature avait commencé en lui. Il ne montra aucun goût pour les lettres, quoique Corneille eût déjà enfanté sa tragédie du Cid, et quoique Richelieu, sous le nom de son maître, établît, en 1637, l’Académie française, en triomphant de la résistance du parlement de Paris.
Ce prince ne contribua en rien aux progrès que commençaient à faire, depuis qu’il était sur le trône, la politesse et les arts. Sobre, chaste, ennemi du faste, il ne se permettait guère d’autres amusements que la chasse, pour laquelle il était passionné, sans que cependant elle l’entraînât jamais à oublier ses devoirs de roi. Il tirait au vol si parfaitement, qu’un plaisant, faisant allusion au surnom de Juste, disait : « Juste... à tirer de l’arquebuse. »
Il cultivait aussi avec succès la musique et la peinture. Sa piété sincère n’était pas exempte de scrupules excessifs, qui décelaient en lui la faiblesse de l’âme plus encore qu’un défaut de lumières. Les obstacles le rebutaient ; et il abandonnait aisément, si ce n’est sur le champ de bataille, les entreprises pour lesquelles il avait montré d’abord le plus d’empressement.
Peu semblable à son père, qui, dans les temps de détresse, payait ses officiers de bonnes paroles, Louis XIII avait avec eux, et il en convenait lui-même, une sécheresse qu’il semblait tenir de sa mère. Malgré l’assertion de quelques écrivains du temps, il est constant que ce monarque aimait la guerre, et l’entendait bien, surtout pour ce qui concerne le commandement de l’infanterie, les fortifications et l’artillerie. Il se plaisait aux travaux d’un siège ; et, quoique son faible tempérament ne lui permît pas d’être constamment à la tête de ses armées, il donna des preuves non équivoques d’un grand courage dans toutes les occasions où il se trouva en personne. « Et cependant, dit l’auteur de l’Abrégé chronologique de l’histoire de France, sa valeur était sans chaleur et sans éclat ; elle n’eût pas été bonne, comme celle de Henri IV, pour conquérir un royaume. »
Au siège de Royan (1622) il s’exposa plus d’une fois de manière à faire craindre pour sa vie. Un jour, plusieurs des chefs de l’armée confièrent leur sollicitude à Lachau, premier aumônier du roi, qui lui dit : « Tous vos officiers, sire, seront enfin obligés de vous adresser la même prière que les capitaines de David lui firent autrefois : Vous ne viendrez plus à la guerre avec nous, de peur que la lumière d’Israël ne s’éteigne avec vous ». Louis XIII, presque toujours victorieux, se montra clément, par calcul peut-être plus que par sentiment ; il le fut surtout dans la guerre qu’il fit à ses sujets de la religion réformée.
Après la prise de Saint-Jean d’Angely (1621), le duc de Soubise, qui était à la tête des rebelles, vint se jeter à ses pieds et lui faire des protestations de fidélité à venir. « Je serai bien aise, lui dit le roi en lui mettant la main sur l’épaule, que dorénavant vous me donniez lieu d’être plus satisfait de vous que je n’en ai eu de sujet par le passé. Levez-vous, et me servez mieux désormais. »
Ainsi qu’il a été observé plus haut, Louis était scrupuleux en matière de religion ; on ne dissipait ses doutes qu’en étayant les arguments qu’on lui opposait d’exemples frappants ou de citations tirées des Écritures. Les habitants de Nègrepelisse, petite ville calviniste du Quercy, s’étant révoltés (1622), et ayant égorgé pendant la nuit un bataillon de troupes du roi, logées dans leurs murs, Louis XIII marcha contre eux pour les punir.
Malgré son juste ressentiment, il était disposé à pardonner à ces malheureux, qui, après la vive résistance, lui demandaient grâce, se voyant sur le point d’être forcés par un assaut général : mais l’animosité de l’armée royale était à son comble. Le prince de Condé, qui, dans ces circonstances, se trouvait auprès du roi, prit un bréviaire, l’ouvrit, et lui fit remarquer que, dans les leçons du jour, tirées de l’Ancien Testament, le prophète Samuel reprochait à Saül d’avoir épargné les Amalécites : il n’en fallut pas davantage pour décider du sort de Nègrepelisse.
Louis XIII n’aimait pas le cardinal de Richelieu, qui sut étendre et faire respecter le pouvoir du souverain sous le nom duquel il gouvernait l’État comme son chef. Par une connaissance de sa propre faiblesse, bien rare, surtout dans un roi, Louis sentait qu’il ne pouvait se passer de l’appui d’un pareil ministre : c’était un besoin pour le timide monarque d’être dominé ; et trouvant le poids de l’autorité au-dessus de ses forces, il se livrait sans réserve à Richelieu : cependant, il éprouvait souvent le désir de secouer le joug ; mais il n’en eut jamais la force.
Enfin, comme le dit Voltaire, il voulait être maître et se donnait toujours un maître. Il ne pardonnait pas intérieurement au cardinal l’impossibilité où il était de régner sans lui. Du reste, tout en le brusquant de temps en temps, comme pour reprendre ses droits, il le soutint dans presque toutes les occasions, malgré l’espèce d’éloignement qu’il éprouvait pour lui, contre les attaques réitérées des courtisans, parce qu’il le croyait utile au bien de L’État.
Dans une telle conduite, à laquelle il ne manquait que plus de suite, ne doit-on pas reconnaître de la sagesse, de la grandeur d’âme, beaucoup de jugement et même de générosité ? Et certes, le cardinal, entraîné par l’ascendant d’un caractère impérieux, ne gardait pas toujours avec Louis XIII, au moins de première impulsion, la mesure convenable.
Un soir, le roi venait de lever le conseil ; le ministre parlait à quelqu’un devant la porte du cabinet, sans s’apercevoir du mouvement qui se faisait derrière lui. Tout à coup les battants s’ouvrent. Richelieu, averti alors seulement, veut se ranger ; le roi était déjà tout près, et le poussant avec un ton d’humeur : « Eh ! passez, monsieur, passez, lui dit-il ; ne sait-on pas bien que c’est vous qui êtes le maître ici ? » Obéir et désobéir semblait également difficile ; le cardinal n’hésita pas : « Je passerai, sire, puisque votre Majesté me l’ordonne, reprit-il d’un air très soumis, mais ce sera comme le moindre de vos serviteurs ».
En même temps, il saisit le flambeau d’un des pages, et marche devant le monarque, comme pour l’éclairer. Cette ingénieuse présence d’esprit, cette preuve de souplesse donnée par un courtisan consommé, finirent, dit-on, par mettre Louis XIII en gaieté. Ce grand homme d’État, sur son lit de mort, entendant le roi se plaindre de perdre son principal appui dans le moment où il en avait le plus besoin, lui dit : « Sire, je vous laisse de bons ministres. Vous ne devez rien appréhender de vos ennemis du dehors, si vous suivez les conseils de ceux que j’ai mis dans les affaires. C’est uniquement votre petit coucher que vous avez à craindre ; il m’a donné plus de peine que tous les étrangers ensemble. »
Après la mort du cardinal, on crut que Louis allait ordonner l’élargissement de toutes les personnes que le ministre tout puissant avait fait enfermer ; mais il tint la même conduite que s’il eût été l’auteur de leur emprisonnement ; il fut sourd à toutes les sollicitations, de sorte que pour obtenir la liberté de ces malheureux on fut obligé de le prendre par le faible qu’on lui connaissait pour l’économie : quelques courtisans lui représentèrent qu’il pouvait épargner des sommes considérables en laissant sortir ceux qui étaient détenus à la Bastille. Frappé de ce raisonnement plus que de tout autre, le roi permit qu’on renvoyait les prisonniers, parmi lesquels figuraient Vitry, Cramail et Bassompierre.
Tous les auteurs contemporains ont beaucoup parlé de la chasteté de Louis XIII. Il paraît certain que la vue d’une belle femme le ravissait ; il aimait à se trouver avec elle, à la regarder, à l’entendre. On craignait que celle qu’on lui avait donnée pour épouse n’aspirât tôt ou tard à le gouverner, ne fût-ce qu’en gagnant sa confiance : en conséquence, Richelieu, en cela d’accord avec la reine mère, commença par lui inspirer de l’éloignement pour Anne d’Autriche ; et ce prince offrit bientôt le singulier spectacle d’un mari ne se souciant plus de sa femme, sans même penser à lui être infidèle.
Trop religieux pour avoir ce qu’on appelle une maîtresse, il voulait au moins se faire une amie. Mademoiselle d’Hautefort n’apprécia pas assez cette distinction : et ses indiscrétions multipliées lui en firent perdre les avantages. Il appartenait à l’aimable et vertueuse la Fayette de captiver le monarque et de fixer son attachement : « mais les amours de Louis XIII, dit un écrivain de cette époque, étaient purement spirituels, d’âme à âme, et les jouissances en étaient vierges. »
La reine ayant un jour reçu un billet dont elle avait probablement à faire mystère pour de bonnes raisons, Louis entra dans l’instant même où elle achevait de le lire, et où elle le confiait à la garde de mademoiselle d’Hautefort. Le roi témoigna un vif désir d’avoir ce billet entre ses mains ; mais le refus étant formel, ils se débattirent assez longtemps sur le ton du badinage ; à la fin, mademoiselle d’Hautefort, qui ne pouvait plus se défendre, mit le papier dans son sein, et le jeu en resta là, Louis n’ayant pas osé pousser sa curiosité plus loin.
En général, il traitait ses maîtresses comme ses favoris ; il en était jaloux, et c’était là que se bornait la démonstration, peut-être aussi la réalité de ses sentiments. Sa jalousie du pouvoir que lui-même avait donné ou laissé prendre porta principalement sur son premier ministre ; mais il avait éprouvé de bonne heure le même sentiment pour le connétable de Luynes, qu’il regretta fort peu lorsqu’il le perdit, en 1621.
Il montra encore moins de regrets de la mort de son cher ami Cinq-Mars. Malheureux par caractère, malheureux au milieu des succès de ses armes, il redouta sa mère, qu’il laissa mourir dans l’exil et dans la pauvreté, n’osant pas à cette occasion essayer de résister au cardinal ; il redouta sa femme, son frère, enfin ceux qui jouissaient plus spécialement de sa confiance et même de sa faveur.
La longue stérilité de la reine et plusieurs circonstances de la naissance de Louis XIV ont donné lieu à bien des commentaires fâcheux, surtout de la part des écrivains protestants. Voici comment s’expliquent à cette occasion quelques historiens. Richelieu, alarmé des entretiens fréquents que le roi avait avec mademoiselle de la Fayette, dont il connaissait l’esprit vif et pénétrant, employa tous les moyens imaginables pour que ce prince se dégoûtât d’elle. A la fin, il en vint à bout. Mademoiselle de la Fayette sollicita et obtint la permission de se retirer au couvent de la Visitation, à Paris.
Louis, qui se défiait de quelque intrigue de la part de son ministre, voulut s’expliquer avec son amie, et convint d’un rendez-vous ; il annonça qu’il irait à la chasse du côté de Grosbois ; mais s’étant dérobé à sa suite, il se dirigea aussitôt vers la Visitation. L’entretien qu’il y eut sans témoins dura quatre heures ; on était alors au mois de décembre, et il n’y avait pas moyen de retourner à Grosbois. Le roi fut donc obligé de passer la nuit à Paris ; et il ne se trouva, dit-on, pour lui, au Louvre, ni table, ni lit ; ce qui paraît assez extraordinaire : la reine lui proposa à souper et à coucher. A ce moment Louis XIII, grâce aux avis de son confesseur, le P. Sirmond, peut-être même à ceux de mademoiselle de la Fayette, et aux sentiments de religion qu’il n’avait jamais cessé d’avoir dans le cœur, était disposé à se rapprocher de sa femme, pour laquelle on avait travaillé de longue main à entretenir son indifférence naturelle.
Cette indifférence s’était même changée en aversion depuis qu’on avait persuadé ce prince crédule et défiant qu’Anne d’Autriche était entrée dans la conjuration de Chalais. L’embarras où il se trouvait fut cause qu’il accepta de bonne grâce la proposition qui lui était faite ; et c’est par cette chaîne d’événements que la reine, après vingt-deux ans de mariage, devint enceinte de Louis XIV, qui naquit dans les neuf mois précis, à compter de cette nuit.
En 1638, Louis XIII choisit le 15 août pour mettre sa personne, sa couronne et la France sous la protection spéciale de la Vierge ; et il ordonna par une déclaration du 10 février suivant que tous les ans on fît une procession solennelle à Notre-Dame de Paris et dans tout le royaume, en mémoire de cette consécration.
L’histoire de son règne n’est le plus souvent que celle du cardinal de Richelieu, qui, rapportant tout à sa personne, exerça comme ministre l’autorité du monarque le plus absolu, et qui éclipse son maître aux yeux de la postérité. On connaît l’inscription relative au monument que Richelieu avait fait ériger sur la place Royale, plutôt à sa propre gloire qu’en l’honneur de Louis XIII. Mais est-il juste d’attribuer exclusivement à ce grand personnage tout ce qui a illustré l’époque pendant laquelle il a tenu les rênes de l’Etat ?
On ne peut pas dire qu’on méconnaissait en tous points dans Louis XIII le fils de Henri IV. Jamais il n’avait cessé entièrement de s’occuper du soin des affaires principales de son royaume ; seulement son imagination et sa conscience étaient trop facilement effrayées des détails du gouvernement. Au surplus, il se montrait parfois avec avantage dans le cabinet et au conseil, quoiqu’il fût encore mieux, c’est-à-dire plus ferme et plus résolu, à la tête de ses armées. Dès qu’il s’agissait de ce qui intéressait véritablement la gloire de la France, il cessait de se laisser conduire par ses favoris.
Lors de la perte de Corbie, en 1636, événement qui consterna Paris et la cour, Louis XIII lutta fortement dans le conseil, et, en donnant d’excellentes raisons contre Richelieu, qui lui proposait de se retirer au delà de la Seine, il commanda qu’on fût prêt à le suivre le lendemain matin. Cette ville ne se rendit, le 14 novembre, qu’après un mois de blocus et huit jours de tranchée ouverte.
Ce qui manquait principalement à ce prince, et qu’on regrette toujours de voir manquer au chef d’un grand royaume, c’était d’avoir autant de courage dans l’esprit qu’il en avait dans le cœur. Cependant rien ne prouverait plus le courage de l’esprit, et même l’élévation de l’âme, que la réponse qu’il fit étant en Savoie, dans une circonstance où l’on voulut l’effrayer d’une maladie qu’on croyait être la peste. Tout à coup on vient lui annoncer que la maîtresse même de la maison où il passait la nuit, est atteinte de cette maladie. « Retirez-vous, dit-il d’un ton calme, et priez Dieu que vos hôtesses ne soient pas attaquées de la peste, comme la mienne. Qu’on tire les rideaux de mon lit : je tâcherai de reposer, et nous partirons demain de bon matin. »
Il a souvent été peint avec une sévérité que la justice de la postérité ne doit pas adopter aveuglément ; le malheur de son caractère et de sa vie privée s’est trop attaché à sa mémoire. On nous l’a montré comme mauvais fils et mauvais frère, comme ami faible et peu sûr, époux inquiet et soupçonneux ; ne pardonnant qu’à regret, dissimulé par faiblesse et par défiance, plutôt que par cette politique fine d’un souverain qui cache ses desseins, afin de les mieux accomplir ; incapable enfin de faire de grandes choses, et ne se sentant pas même l’énergie nécessaire pour envisager d’abord un parti à prendre, s’il était important, loin d’oser l’approfondir et en suivre lui-même l’exécution.
Le président Hénault paraît avoir bien jugé lorsqu’il dit de Louis XIII : « Père et fils de deux grands rois, la Providence l’avait fait naître dans le moment qui lui était
propre ; plus tôt il eût été trop faible, plus tard trop circonspect. » La couronne acquit sous son règne une force que celui de Henri IV n’avait pas assez consolidée ; et au
moment de sa mort, la France se trouva toute préparée aux merveilles du règne de Louis XIV.