Philippe III le Hardi

(né le 1er mai 1245, mort le 5 octobre 1285)

(Roi de France : règne 1270-1285)

Surnommé le Hardi, fils de Louis IX et de Marguerite de Provence, il naquit le 30 avril 1245 ; il fut salué roi de France sur les sables brûlants de l’Afrique, près des ruines de Carthage, et dans un camp ravagé par la peste, le 25 août 1270. Saint-Louis venait d’expirer. Jean, comte de Nevers, frère de Philippe, le cardinal légat, un grand nombre de seigneurs et de soldats avaient succombé.

Philippe III le Hardi (1270-1285)


Philippe III le Hardi (1270-1285)

La consternation était générale ; et sans l’arrivée si longtemps attendue des croisés de Sicile, tout était perdu. Charles, frère de Saint-Louis et roi de Sicile, fait débarquer son armée, qui campe à une demi lieue des Français. Presque tous les grands vassaux avaient suivi Saint-Louis à la dernière croisade ; et la monarchie française se trouvait comme transportée en Afrique.

Philippe, âgé de vingt-six ans, était dangereusement atteint du mal qui ravageait l’armée lorsqu’il reçut le serment de ses vassaux. Saint-Louis avait nommé régents du royaume Matthieu de Vendôme, abbé de Saint-Denis, et Simon de Clermont de Nesle. Philippe leur écrivit pour les confirmer dans leur autorité ; en même temps, considérant l’état critique de sa santé et les dangers de sa position, il fixa à quatorze ans dans une ordonnance datée du camp près de Carthage, la majorité de Louis, l’aîné de ses trois enfants.


On ignorait alors l’art d’embaumer les cadavres. On fit bouillir le corps de Saint-Louis dans du vin et de l’eau. Le roi de Sicile obtint la chair et les entrailles, qui furent déposées à l’abbaye de Montréal près de Palerme ; le cœur et les os furent enfermés dans un cercueil pour être transportés à Saint-Denis. Déjà les reliques du saint roi, confiées au sire de Beaulieu, allaient être embarquées, lorsque toute l’armée demanda qu’elles fussent conservées dans le camp, ce qui lui fut accordé.


La contagion y régnait toujours, et la cavalerie maure enlevait tous les soldats qui s’éloignaient des palissades. Le roi de Tunis campait à deux lieues des croisés, et des succès récents avaient enflé son courage. Le roi de Sicile, qui commandait pendant la maladie de Philippe, résolut de s’emparer du golfe de Porto-Farina, qui pouvait seul faciliter les approches de Tunis. Secondé par le comte d’Artois et Philippe de Montfort, il attaqua les Sarrasins, qui eurent 5 000 hommes tués ou noyés.


Peu de temps après, leur armée, ayant reçu de nombreux renforts, osa s’approcher jusqu’à portée de l’arc du camp des chrétiens, en hurlant, dit Guillaume de Nangis, je ne sais quoi de terrible, et obscurcissant l’air d’une nuée de flèches. Elle fut repoussée avec une perte de plus de 3 000 hommes. Une grande bataille ne tarda pas à être livrée. Philippe était rétabli : il marcha aux ennemis avec les rois de Sicile et de Navarre. Le comte d’Alençon et les templiers furent chargés de la garde du camp. L’oriflamme avait été déployée.


Les Maures ne tinrent pas longtemps contre les croisés. Dans leur déroute ils abandonnèrent leur camp, et furent poursuivis jusqu’aux défilés des montagnes, d’où ils virent massacrer leurs malades et leurs blessés, piller leurs richesses, enlever leurs provisions, et, dans un vaste incendie, disparaître leurs tentes et leurs bagages.


Philippe ne savait encore à quoi se résoudre, lorsque le roi de Tunis fit demander la paix ; et le 30 octobre elle fut conclue aux conditions suivantes : une trêve de dix ans ; la franchise du port de Tunis ; tous les prisonniers rendus de part et d’autre ; les frais de la guerre fixés à deux cent dix mille onces d’or, payés moitié sur-le-champ au roi de France et à ses barons ; la liberté du culte accordée aux chrétiens dans le royaume de Tunis, avec la faculté d’élever des églises, de prêcher la foi et de convertir les musulmans : clause illusoire, qui ne fut insérée au traité que pour sauver l’honneur des croisés, et leur permettre d’annoncer qu’ils avaient accompli leur vœu.


Un des articles portait enfin que le tribut déjà payé par Tunis au roi de Sicile serait doublé pendant quinze ans, et que cinq années d’arrérages seraient acquittées immédiatement. Le traité venait d’être signé lorsque le futur roi d’Angleterre (Édouard Ier, qui n’avait pas encore succédé à Henri III) arriva avec sa femme, son frère, ses barons et une armée. Il désapprouva hautement la paix, s’enferma dans sa tente, refusa de prendre part aux délibérations, et même au partage de l’argent des mahométans : il demandait, il exigeait la guerre ; mais le roi de Sicile ne voulait que de l’argent, et il en avait obtenu.


D’ailleurs, le traité avait pour lui la sainteté des serments, la durée de la contagion et les lettres des régents de Philippe qui pressaient son retour. Le roi de France embarqua les os de Saint-Louis, ceux de son frère et ceux d’autres illustres croisés, tandis qu’Édouard allait seul entreprendre au milieu de nouveaux revers la guerre pour la délivrance des saints lieux.


Les vaisseaux de Charles et de Philippe mirent à la voile, et, après quarante-huit heures de navigation, entrèrent le 22 novembre à Trapani en Sicile. Une horrible tempête qui dura trois jours en fit périr un grand nombre qui était resté dans la rade. Quatre mille personnes de toute condition moururent dans les flots ; et mille, ayant gagné la terre, succombèrent aux fatigues de cette funeste journée.


Ce fatal événement n’empêcha pas les rois de France, de Sicile et de Navarre de s’engager, avec tous les comtes et barons, à partir dans trois ans pour une autre croisade ; et chacun jura de ne s’en point dispenser sans un sujet légitime, dont le roi de France serait juge suprême.


De toutes les croisades, celle-ci avait été la plus malheureuse : il y périt 30 000 hommes, et Philippe ne revint en France qu’avec des cercueils. Il arriva à Paris le 21 mai 1271, et fit faire de magnifiques obsèques aux illustres morts dont il rapportait les cendres. On les mit en dépôt à Notre-Dame. d’où on les transporta processionnellement à Saint-Denis. Le roi aida à porter sur ses épaules le cercueil de son père jusqu’à l’abbaye. On voyait encore au XIXe siècle au faubourg Saint-Laurent et sur le chemin de Saint-Denis des monuments de pierre qui avaient été élevés par ordre de Philippe aux sept endroits de la route où il s’était reposé en portant ce pieux fardeau.


Un incident singulier troubla cette auguste cérémonie. Le cortège funèbre trouva les portes de l’église fermées par ordre de l’abbé Matthieu de Vendôme, qui, pour le maintien des privilèges et de l’exemption de l’abbaye, refusait d’y laisser entrer en habits pontificaux l’archevêque de Sens et l’évêque de Paris. Il fallut que ces deux prélats allassent les quitter au delà des limites de la seigneurie abbatiale, et le roi fut contraint d’attendre hors de l’église leur retour.

Les tombes royales reçurent, avec les corps de Saint-Louis, de la reine Isabelle et du comte de Nevers, celui d’Alphonse, comte d’Eu, fils de Jean de Brienne, empereur de Constantinople et roi de Jérusalem. Cette cérémonie funèbre fut suivie d’une autre où la joie publique devait éclater.


Philippe fut sacré à Reims le 30 août. Le lendemain il partit pour visiter les frontières du nord, et fut reçu dans Arras par le comte de Flandre. Il voulut ensuite connaître l’état du Poitou et du comté de Toulouse, qui, après la mort d’Alphonse, revenaient à la couronne. Il s’avançait du côté de Poitiers, lorsqu’il apprit que Roger-Bernard, comte de Foix, avait emporté d’assaut le château de Sompuy, où flottait la bannière royale.


Cité à comparaître devant Philippe, Roger s’y refusa ; et, comptant sur le nombre de ses vassaux et de ses forteresses, il résolut de soutenir sa rébellion les armes à la main. Philippe convoqua le ban et l’arrière-ban ; le rendez-vous était fixé à Tours. Le duc de Bourgogne, les comtes de Bretagne, de Blois, de Flandre, de Boulogne ; etc., y arrivèrent suivis d’un grand nombre de chevaliers, et l’armée se dirigea vers les Pyrénées.


Philippe fit son entrée dans Toulouse. Il reçut à Pamiers la visite du roi d’Aragon, son beau-père ; entra sur les terres du comte révolté, et arriva enfin devant le château de Foix. Cette forteresse, bâtie sur une montagne inaccessible, était réputée imprenable. Le comte s’y était renfermé avec ses meilleures troupes et un grand nombre de machines de guerre. Philippe fit serment de ne s’éloigner qu’après avoir soumis la place ; et tandis que les assiégés le défiaient avec jactance, il fit couper le pied de la montagne, et ouvrir dans les rochers un chemin praticable.

Roger, étonné, vit bientôt sa perte inévitable. il demanda à capituler ; mais Philippe exigea qu’il se rendît à discrétion et qu’il livrât toutes ses forteresses. Le comte vint se jeter aux pieds du roi ; il implora sa clémence : Philippe le fit charger de chaînes et conduire à Carcassonne, où on l’enferma dans une tour. Roger était en prison depuis un an lorsque, cédant aux prières du roi d’Aragon, Philippe le fit venir à Paris, l’arma chevalier, et le renvoya dans ses domaines.

Cet exemple de vigueur et de sévérité ne fut pas perdu, et la révolte du comte de Foix fut, selon Nangis, la seule qu’on vit sous ce règne. Édouard Ier, roi d’Angleterre, ayant succédé à Henri III (1274), s’empressa de venir à Paris comme vassal de Philippe pour les domaines qu’il possédait en France, et rendit hommage à son suzerain.


Bientôt le vicomte de Béarn ayant refusé de se connaître vassal d’Edouard, duc d’Aquitaine, fut poursuivi par ce prince, et se hâta d’interjeter appel à la cour de Philippe, qui convoqua son parlement. Édouard y fut cité ; épreuve humiliante pour un souverain. Il comparut, malgré sa répugnance, et se soumit à son juge, qui prononça en sa faveur.


Philippe assista la même année au concile général de Lyon. Les Grecs abjurèrent le schisme ; et la primauté du pape fut reconnue par les patriarches et les ambassadeurs de Michel Paléologue. Mais cette réunion des deux Églises ne fut pas durable ; et dès que Charles d Anjou, roi de Sicile, eut cessé de paraître redoutable, Constantinople cessa, de son côté, de reconnaître le pontife romain.


Le concile venait d’être terminé, lorsque Philippe épousa en secondes noces Marie, sœur de Jean, duc de Brabant (1275). Les fêtes furent magnifiques : tous les seigneurs y parurent en habits et en manteaux de pourpre et les femmes, portant des robes tissées d’or, étaient parées, dit Nangis, comme un temple. La tendresse de Philippe pour la nouvelle reine alarma un favori jusque-là tout-puissant, Pierre de la Brosse, son grand chambellan. Voulut-il brouiller ensemble le roi et la reine ? L’histoire offre quelques indices à ce sujet, et ne fournit aucune preuve.


Philippe perdit subitement Louis, son fils aîné, à l’âge de douze ans (1276). On crut à la cour que le jeune prince avait péri par le poison : on chercha le coupable ; et la Brosse jeta, dit-on, dans l’esprit du roi, des soupçons sur la reine, en insinuant qu’elle réservait le même sort aux deux autres fils de son maître (Philippe et Charles), afin d’assurer la couronne aux enfants du second lit. Ses intrigues retombèrent sur lui-même, et il fut jeté en prison.


A la première nouvelle de la disgrâce du favori, le duc de Brabant, qui avait craint de le poursuivre au temps de sa puissance, vint hautement demander justice, et offrit de défendre par le duel l’innocence de sa sœur. Personne ne se présenta pour soutenir l’accusation ; la reine se trouva justifiée ; la Brosse fut pendu, et tous ses biens furent confisqués. On l’avait aussi accusé d’entretenir des intelligences avec les rois de Castille et d’Aragon.


Il résulte du silence des historiens contemporains que le second crime du favori ne fut pas plus prouvé que le premier. On est étonné de voir Daniel avancer que le peuple applaudit à l’arrêt des barons, qui condamna la Brosse au gibet, lorsque Guillaume de Nangis, le seul historien contemporain de Philippe, dit positivement le contraire. Henri Ier, roi de Navarre et comte de Champagne et de Brie, mort suffoqué par la graisse (1274), avait laissé pour unique héritière sa fille Jeanne, âgée de deux à trois ans. Il avait ordonné, par son testament, qu’elle épousât un prince français.


Cette exclusion des naturels du pays mécontenta les grands, qui, refusant de reconnaître comme régente et tutrice la reine mère, Blanche d’Artois, sœur de Saint-Louis, élurent lieutenant général du royaume le sénéchal don Pedre Sanche de Montagu. Bientôt la couronne de Navarre, mal affermie sur la tête d’un enfant, réveilla les prétentions des princes voisins. Jacques, roi d’Aragon, soutint qu’elle lui appartenait par la donation de Sanche VII, qui l’avait institué son héritier (1231).


Alphonse, roi de Castille, plus attentif à résoudre un problème qu’à poursuivre une couronne, réclama cependant celle de Navarre, comme héritier de Sanche III, qui l’avait possédée et réunie à ses États. Ces deux souverains envoyèrent défendre leurs droits aux états de Navarre. Le lieutenant général et l’évêque de Pampelune se prononcèrent pour l’Aragonais ; un autre parti se déclara pour le Castillan ; un troisième, et c’était le plus faible, voulait que le roi de France, comme parent de la jeune princesse, fût invité à se charger de la tutelle. Le parti le moins juste, celui de l’Aragonais, prévalut ; et le roi de Castille commença la guerre.


La reine mère s’échappa secrètement avec sa fille, et vint demander à la cour de France asile et protection. Cette démarche acheva d’aigrir les seigneurs de Navarre. Les états arrêtèrent que Jeanne ne serait point reconnue reine si elle n’épousait Alphonse d’Aragon ; et ils résolurent d’employer tous leurs soins pour empêcher qu’un prince français ne montât sur le trône de Navarre.


En même temps ils s’engagèrent à fournir au roi d’Aragon, pour les frais de la guerre, la somme alors prodigieuse de deux cent mille marcs d’argent. Mais Blanche désirait et demandait que sa fille épousât un des trois fils de Philippe ; et Philippe pressa vivement cette alliance, qui devait faire entrer une nouvelle couronne dans sa maison.


Il fallut lever l’obstacle de la proximité du sang. Grégoire X, qui devait à Philippe le don du comtat Venaissin, accorda la dispense, et Jeanne de Navarre fut mariée à Philippe surnommé le Bel (1275). Blanche engagea au roi de France la châtellenie de Provins pour les frais de la guerre qu’il allait entreprendre ; elle lui remit la tutelle, ou, selon l’expression du temps, le bail de la pupille pour les comtés de Champagne et de Brie. Philippe envoya dans la Navarre des troupes sous le commandement d’Eustache de Beaumarchais, sénéchal de Toulouse, guerrier habile et mauvais politique, qui obtint d’abord quelques avantages, mais qui eut l’imprudence de toucher aux lois du pays.


Toutes les fureurs des guerres civiles désolèrent cette contrée : les Français allaient succomber, lorsque Robert, comte d’Artois, arriva avec une armée de 20 000 hommes. Pampelune fut prise d’assaut ; toutes les forteresses capitulèrent, et la Navarre fut soumise. Le comte d’Artois, qui n’avait pu arrêter la fureur du soldat, rendit aux Navarrois leurs coutumes et leurs privilèges.


Vers cette même époque (1276), Philippe s’avançait avec une armée formidable pour porter la guerre au centre de la Castille. Alphonse X violait les traités les plus sacrés, et avait choisi pour successeur son second fils au préjudice des enfants que Ferdinand, son aîné, avait eus de Blanche, fille de Saint-Louis et sœur de Philippe. Le duc de Bourgogne, le comte de Bar, le duc de Brabant, le comte de Juliers et plusieurs autres princes allemands accompagnèrent Philippe, qui était allé prendre l’oriflamme à Saint-Denis.

Cette grande armée eût pu suffire à la conquête de toutes les Espagnes. Mais il fallait passer les Pyrénées : on n’avait pourvu à rien. L’hiver approchait, les pluies rendaient les routes impraticables, et l’on n’avait rassemblé ni vivres ni fourrages. Philippe, que cinq chevaliers castillans étaient venus défier au nom de leur maître, reprit tristement le chemin de sa capitale.


Plus d’un an s’était écoulé, lorsque Philippe ne pouvant concilier ses différends avec Alphonse, médita une nouvelle expédition contre la Castille. Mais le pape Jean, craignant que cette guerre ne fît échouer son projet d’une nouvelle croisade, fit notifier aux souverains, sous peine de l’excommunication et de l’interdit, la défense de recourir aux armes pour régler leurs droits respectifs. Les légats du Saint-Siège furent chargés de négocier la paix entre les deux rois.


Alors parurent aussi en France des ambassadeurs tartares, qu’on prit pour des espions venant de Rome, allant à Paris et à Londres pour proposer une ligue des princes chrétiens contre les Turcs. Philippe, qui n’aimait point la guerre, s’empressa de saisir un prétexte qui, dans l’esprit du siècle le justifiait du reproche d’inconstance ; mais il mérita plus d’une fois ce reproche, en commençant avec ardeur de grandes entreprises, en les poursuivant avec faiblesse, et en s’arrêtant au moment de l’exécution.


L’événement le plus mémorable arrivé sous le règne de Philippe, est celui du massacre général des Français en Sicile, à la suite d’une conspiration aussi étonnante par l’horrible secret avec lequel elle fut conduite, qu’effroyable par l’atrocité de l’exécution : ces massacres furent appelés les Vêpres siciliennes, parce qu’ils commencèrent à Palerme (le 30 mars 1282) au moment où les cloches appelaient le peuple à vêpres.


Vainement les foudres de Rome, lancées contre la Sicile et le roi d’Aragon, conviaient Charles d’Anjou à venger son injure ; vainement une formidable armée française, conduite par le comte d’Alençon, frère de Philippe, le comte Robert d’Artois, le comte de Bourgogne, Matthieu de Montmorency et d’autres grands seigneurs du royaume, était arrivée dans les plaines de Saint-Martin en Calabre, prêts à franchir le détroit. Charles se laisse tromper par don Pèdre, qui lui proposa un combat singulier dans la plaine de Bordeaux, une époque assez éloignée pour laisser au climat et aux maladies le temps d’affaiblir l’armée de Philippe.


Au jour indiqué, Charles se trouva au rendez-vous, suivi du roi de France, son neveu ; et, depuis le lever jusqu’au coucher du soleil, il attendit don Pèdre ; mais don Pègre se dispensa de paraître, et se contenta de venir quelques heures avant minuit protester devant le sénéchal de Bordeaux contre le roi de France, qui, ayant accompagné son rival, lui donnait lieu de croire à quelque trahison. Bientôt les rois de Sicile et d’Aragon remplirent l’Europe de leurs manifestes. Philippe leva promptement une armée, qui pénétra dans l’Aragon, dégarni de soldats, et ravagea ce royaume. Une bulle de Martin IV offrit la couronne de don Pèdre à un des fils de Philippe, pourvu que ce ne fût pas l’héritier présomptif du trône français.


Le cardinal Jean Cholet fut chargé de négocier les conditions suivantes de cette étrange donation : le royaume d’Aragon, uni au comté de Barcelone, ne pourrait être possédé par un prince qui serait en même temps roi de France, ou de Castille, ou d’Angleterre ;le nouveau roi et ses successeurs ne pourraient traiter, sans le consentement du saint-siège, avec don Pèdre, jadis roi d’Aragon, ni avec ses fils, pour la restitution totale ou en partie de la souveraineté dont Rome les dépouillait pour leurs péchés ; le nouveau roi et ses successeurs se reconnaîtraient vassaux du pape, lui prêteraient serment de fidélité à chaque mutation, et lui payeraient annuellement, à titre de cens, le jour de la Saint-Pierre, la somme de cinq cents livres tournois.


Philippe ne voulut rien décider que de l’avis des barons et des prélats du royaume : ils furent mandés à Paris pour le 21 février 1284. Le parlement se tint au palais des rois dans la Cité. La bulle y fut lue, et le clergé se retira dans une salle, la noblesse dans une autre pour délibérer. Les deux ordres, après quelque division, furent d’avis que, pour la gloire de la religion et pour celle de la France, le roi devait accepter le don du pape.


Philippe souscrivit sans réflexion à cet avis dont les conséquences imprévues menacèrent de devenir fatales à son successeur. Le cardinal légat donna au jeune comte de Valois, second fils du roi, l’investiture des royaumes d’Aragon et de Valence et du comté de Barcelone. En même temps le légat fit prêcher dans toute la France la croisade pour l’expédition d’Aragon, et l’on y attacha les mêmes indulgences que pour les croisades d’outre-mer.


Philippe partit pour Narbonne, où était le rendez-vous général de son armée. Plusieurs historiens disent qu’elle était forte de 100 000 hommes de pied et de 20 000 chevaux. La flotte se composait de 150 galères et d’un nombre plus grand de vaisseaux de charge. On marche en bataille vers le Roussillon : Perpignan ouvre ses portes après quelque résistance. Elne, prise d’assaut, est rasée jusqu’aux fondements. Don Jayme, roi de Majorque, comte de Roussillon, dépossédé par son frère don Pèdre, se joint au monarque français.


Il fallait s’ouvrir les Pyrénées, que le roi d’Aragon avait cherché à rendre inaccessibles. Philippe n’ayant pu forcer le col de Panissar, unique chemin pour pénétrer dans la Catalogne, retourna sur ses pas, et campa aux environs de Collioure. II méditait déjà d’abandonner cette grande entreprise, lorsque des religieux de Saint-André de Sureda (ou le bâtard de Roussillon, suivant Guillaume de Nangis) vinrent lui offrir de conduire son armée par le col de la Mançana.

Toute l’armée y passa le 20 juin 1285. Don Pèdre fut obligé de se retirer, abandonnant ses vivres et ses bagages. Philippe entra dans l’Ampourdan, tandis que son amiral, Guillaume de Lodève, s’emparait du port de Roses. Bientôt Peiralade, Figuière, Castillon et d’autres places se rendirent. Mais Girone fut l’écueil des croisés. Le vicomte de Cardone y commandait pour don Pèdre ; sa défense fut vive et opiniâtre.


De son côté don Pèdre ne cessait de harceler les assiégeants, lorsque Philippe de Nesle, suivi de 500 cavaliers d’élite, le surprit dans une embuscade où, suivant Nangis, ce prince fut blessé mortellement. Mais si l’on en croit les historiens espagnols, il ne mourut qu’environ trois mois après, et lorsqu’il eut poursuivi vivement les Français à leur sortie de la Catalogne. Girone était assiégée depuis deux mois sans succès ; les chaleurs étaient excessives ; le camp était ravagé par une épidémie.


Philippe désespérait de prendre cette forteresse, lorsque le comte de Foix obtint la permission d’y entrer, et décida le gouverneur, qui était son parent, à capituler. Le 5 septembre le roi fit son entrée dans Girone ; Il y mit une forte garnison, et repassa les Pyrénées pour aller hiverner en Provence. D’ailleurs, par la trahison des habitants de Roses, l’amiral de Barcelone venait de battre la flotte française et de s’emparer de trente bâtiments.


Les croisés, dans leur fureur, réduisirent Roses en cendres, vengeance stérile, et qui n’empêcha pas l’armée d’éprouver en se retirant toutes les horreurs de la disette. Les pluies rendaient les chemins difficiles et impraticables pour les équipages. Les Aragonais s’étant saisis du pas de la Cluse et du col de Panissar, firent périr beaucoup de monde et s’emparèrent des bagages.


Enfin Philippe, atteint lui-même de l’épidémie qui ravageait l’armée, fut transporté dans une litière à Perpignan, où il mourut le 5 octobre 1285, dans la 41e année de son âge, et après un règne de seize ans. Le roi de Majorque, qui ne l’avait point quitté depuis le commencement de l’expédition, lui fit faire de magnifiques obsèques. Les chairs séparées des ossements furent inhumées à Narbonne, dans un tombeau de marbre blanc. Les os furent transférés à Saint-Denis, et le cœur fut donné par Philippe le Bel aux jacobins de Paris. La mort de Philippe III fut bientôt suivie de la reddition de Girone.


Ce prince eut de sa première femme, Isabelle d’Aragon, quatre enfants : Louis, dont on croit que le poison termina les jours ; Philippe le Bel ; Charles, comte de Valois, dont la postérité régna sur la France et forma la dynastie des Valois ; Robert, mort en bas âge. Trois autres enfants naquirent du second mariage de Philippe avec Marie de Brabant : Louis, Comte d’Evreux, souche des comtes d’Evreux, rois de Navarre ; Marguerite, qui épousa Édouard Ier, roi d’Angleterre ; et Blanche, qui fut mariée à Rodolphe, duc d’Autriche, fils aîné de l’empereur Albert.


Le gouvernement féodal continua de s’affaiblir sous le règne de Philippe. On avait commencé à croire sous Saint-Louis que le prince, suivant l’expression de Beaumanoir, était souverain par dessus tous. Philippe eut, en montant sur le trône, le droit exclusif d’établir de nouveaux marchés dans les bourgs, et des communes dans les villes. Il régla tout ce qui concernait les ponts, les chaussées, et en général tous les établissements d’utilité publique.


A l’exemple de son père, il employa contre les barons la même politique dont ils s’étaient servis contre leurs vassaux ; et c’est en continuant de suivre ce système, en maintenant la jurisprudence des appels, qui obligeait tout homme ajourné devant une justice royale d’y comparaître, quoiqu’il n’en fût pas justiciable ; c’est en étendant surtout leur puissance que les rois de France contraignirent enfin les barons à reconnaître dans leur personne la même autorité qu’ils avaient réduit leurs vassaux à reconnaître en eux.


Édouard, roi d’Angleterre, datait les chartes de Guyenne de l’année de son règne. Philippe exigea et obtint qu’il les datât de l’année du sien, parce que Édouard était son vassal pour le duché d’Aquitaine. Les premières lettres d’anoblissement furent données par Philippe (1272) en faveur de Raoul, orfèvre ou argentier du roi. En prenant possession du comté de Toulouse, il maintint la province dans l’usage de payer volontairement les tailles et les subsides. Il donna le comtat Venaissin à l’Église romaine en 1274.


C’est sous son règne que fut établi le système de l’inaliénabilité du domaine de la couronne : la loi des apanages commença dès lors à être mieux connue ; mais elle ne fut dans toute sa force que sous Philippe le Bel. Ainsi les principes de la vraie politique s’introduisaient avec la lenteur du progrès des lumières.


C’est sous Philippe le Hardi que fut fondée l’université de Montpellier. Ce prince, disent les historiens, n’avait aucune connaissance des lettres ; mais il était pieux, prudent, généreux, économe, ami de l’ordre et de la paix. Il parvint, sans augmenter les impôts, à former un trésor qui fut confié à la garde des chevaliers du Temple ; sous lui s’acheva la rédaction des coutumes, et il eut le bonheur de pouvoir gouverner la France avec autant de douceur que d’autorité.