Surnommé le Long à cause de la grandeur de sa taille, il était le deuxième fils de Philippe le Bel : il se trouvait à Lyon, où il ménageait l’élection du pape Jean XXII, lorsqu’il reçut la nouvelle de la mort du roi Louis X, son frère, et se hâta de revenir à Paris. Ce prince est le premier des rois de la troisième dynastie qui ait reçu la couronne en ligne collatérale : jusque-là elle avait été transmise en ligne directe de père en fils, dans la personne de treize rois.
Louis le Hutin, fils et successeur de Philippe le Bel, avait laissé, en mourant (5 juin 1316), une fille nommée Jeanne, héritière du royaume de Navarre, et qu’un parti puissant regardait aussi comme héritière du royaume de France, à moins que la reine, Clémence de Hongrie, qui était enceinte à la mort de Louis, n’accouchât d’un prince. Philippe convoqua un parlement, où il fut reconnu gardien de l’État ; mais la reine ayant mis au monde un enfant mâle qui ne vécut que cinq jours (Jean Ier), Philippe n’hésita point à se déclarer roi par le droit de la nation, qui excluait les filles du trône.
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De grandes contestations s’élevèrent. La jeune princesse avait des partisans parmi plus de trente princes de sang royal qui vivaient alors, et qui étaient sortis des branches de Valois, d’Alençon, d’Évreux, de Bourbon, d’Artois, d’Anjou, de Dreux et de Bretagne. Eudes IV, duc de Bourgogne, oncle de Jeanne, soutenait que, par le droit naturel et par le droit civil, elle devait succéder au roi Jean, son frère, s’appuyant de l’exemple des grands fiefs, qui tous ou presque tous tombaient de lance en quenouille ; et il s’opposait, par des protestations, au sacre de Philippe : cependant ce sacre eut lieu à Reims, le 9 janvier 1317, en présence de Charles de Valois et de Louis, comte d’Évreux, oncles du roi ; un grand nombre de pairs et de seigneurs y assistèrent.
Mathilde, comtesse d’Artois, qui en qualité de pair de France, avait séance au parlement, se joignit aux autres pairs pour soutenir la couronne sur la tête du roi. Charles, comte de la Marche, frère de Philippe, et qui lui succéda, agissant alors contre ses premiers intérêts, se réunit au duc de Bourgogne ; et l’opposition de ces princes donna de si vives inquiétudes, que pendant la cérémonie du sacre les portes de la ville de Reims restèrent fermées et gardées.
Le 2 février (1317), dans une assemblée convoquée par le roi, et où se trouvèrent un grand nombre de seigneurs et de prélats, les plus notables bourgeois de Paris, le cardinal d’Arablay, qui avait été chancelier sous le règne précédent, et les docteurs ou maîtres de l’université, il fut unanimement reconnu que la loi salique ne permettait pas aux femmes de succéder au trône de France. Jusque-là il n’avait pas été fait mention de cette loi dans l’histoire de France.
Le couronnement de Philippe fut confirmé, et l’assemblée prêta le serment de fidélité. Dès lors, le droit du roi ne fut plus contesté : mais les mécontents cherchèrent encore à brouiller l’État. Les intrigues continuaient à la cour ; il y avait en diverses provinces des dispositions au soulèvement : les villes et la noblesse se plaignaient de la violation de leurs privilèges ; et les confédérations qui avaient épouvanté Philippe le Bel dans les derniers temps de son règne, recommençaient à se former.
Le roi écrivit au pape (Jean XXII) ; et le pontife menaça d’excommunier ceux qui ne rentreraient pas dans le devoir. Le monarque employa lui-même des moyens de pacification qui furent plus efficaces. Il donna sa fille aînée en mariage à Eudes IV ; et cette princesse ayant apporté à celui-ci en dot la Franche-Comté, le duc devint ainsi possesseur des deux Bourgognes. En même temps Philippe envoya dans les provinces de sages et habiles commissaires, qui, écoutant les griefs de la noblesse et des peuples, déclarèrent que le roi se proposait de réformer les abus et de suivre, conformément au vœu généralement exprimé, les usages observés sous le règne de Saint-Louis.
Enfin il acheva de rétablir la paix dans l’intérieur, en tenant plusieurs assemblées, où, avec la noblesse, il appela la bourgeoisie. Philippe ne songea plus alors qu’à terminer, contre les Flamands, une longue guerre dont ils désiraient aussi la fin. Mais il voulait les traiter en roi ; et ces peuples, qui, depuis seize ans, se battaient pour leur indépendance, avaient oublié qu’ils étaient sujets.
Dans le commencement de la régence de Philippe, ils avaient rejeté un projet de traité, par lequel ils se seraient engagés à demander pardon de leur révolte ; à démanteler les villes d’Ypres, de Bruges et de Gand ; à démolir la citadelle de Courtrai, dont les pierres auraient été envoyées en France ; à faire avec Philippe une nouvelle expédition en Orient : car s’il ne se faisait plus de croisades, on continuait d’en projeter encore.
Par le même traité, Robert, fils du comte de Flandre, pour expier les ravages qu’il avait faits sur les terres de France, aurait été tenu à divers pèlerinages, dont le plus éloigné était celui de Saint-Jacques en Galice. Déjà une armée, sous la conduite du connétable de Châtillon, s’était avancée jusqu’à Bergue, mettant tout à feu et à sang, lorsque, sur la demande du comte de Nevers, héritier du comte de Flandre, une trêve fut conclue ; et, bientôt après, le comte de Nevers reçut et accepta avec joie l’offre de la main de Marguerite, fille du roi de France.
En négociant la paix, comme on ne put s’entendre, Philippe proposa la médiation du pape, qui ne fut point acceptée. Bientôt les Flamands recommencèrent les hostilités, et le pape mit la Flandre en interdit. Alors de nouvelles trêves furent consenties et prolongées. Enfin la paix fut conclue (2 juin 1320), sous les auspices du pape et par l’adresse du cardinal Gosselin.
Le traité qui mit fin à cette longue guerre portait que Louis, comte de Nevers et de Rhetel, épouserait Marguerite, fille de Philippe, et succéderait au comte de Flandre ; que Lille, Douai et Orchies appartiendraient à la couronne de France, et que les Flamands payeraient à Philippe une somme de deux cent mille livres. Le traité contenait cette clause singulière que les Flamands s’obligeaient au roi, par serment, de prendre les armes contre leur prince, si celui-ci violait quelqu’une des conditions de la paix.
Cette même année, Sanche, roi de Majorque, vint à Paris faire hommage pour la ville de Montpellier, qui était encore du domaine des rois d’Aragon : mais Edouard II, roi d’Angleterre et beau-frère de Philippe, sommé de venir en personne rendre hommage pour la Guyenne et le comté de Ponthieu, s’excusa sur l’importance des affaires qui le retenaient en Angleterre.
Philippe n’était guère en état de le contraindre à cette soumission ; et l’épuisement du trésor royal fit recevoir l’excuse du roi d’Angleterre. Philippe, ayant pacifié son royaume, reprit avec ardeur un projet d’expédition contre les infidèles. Jusque-là les papes avaient fait souvent d’inutiles efforts peur engager les princes dans les guerres d’outre-mer : on vit alors le chef de l’Eglise obligé de modérer l’ardeur d’un roi de France.
Jean XXII, pressé par Philippe de hâter la croisade, lui représenta sagement, dans une lettre, que, vu l’état où se trouvait l’Europe, il ne convenait pas de penser encore à cette expédition ; que l’Angleterre et l’Écosse se faisaient la guerre ; qu’il n’y avait entre Naples et la Sicile qu’une trêve qui allait expirer ; que l’Allemagne était déchirée par les guerres civiles ; que les rois d’Espagne avaient à se défendre contre les Maures ; que l’Italie était en proie aux factions des Guelfes et des Gibelins ; enfin qu’il fallait, avant tout, pacifier l’Europe.
Philippe se rendit avec peine à cet avis ; et, sans renoncer à son dessein, il en ajourna l’exécution. La croisade occupait encore sa pensée, lorsque attaqué d’une fièvre quarte, accompagnée de dysenterie, il mourut à Longchamps, après cinq mois de souffrances, non sans quelque soupçon de poison, le 3 janvier 1322, après cinq années de règne, et n’étant âgé que de 38 ans. Il avait perdu un fils au berceau : il ne laissa que des filles ; Jeanne, mariée au duc de Bourgogne ; Marguerite, femme de Louis, comte de Flandre ; Isabelle, qui épousa le dauphin de Viennois ; et Blanche, qui embrassa la vie monastique.
Il eut pour successeur son frère Charles IV, dit le Bel. Philippe était un prince religieux, de mœurs douces, et porté à la modération. Les courtisans le pressaient un jour de châtier l’évêque de Paris, prélat inquiet, ennemi de son maître : « Il est beau, dit le monarque, de pouvoir se venger et de ne le pas faire ». Il aima les lettres et protégea ceux qui les cultivaient. La plupart des officiers de sa maison étaient poètes. Emeric de Rochefort, Pierre Hugon, Pierre Millon, qu’il fit son maître d’hôtel ; Bernard Marchès, poète provençal, qu’il promut à la dignité de chambellan, entretenaient son goût pour les muses. Il composa lui-même des poésies en langue provençale.
Il rendit son règne recommandable par de sages ordonnances, qui déterminaient les fonctions des magistrats, fixaient leur nombre dans le parlement, défendaient d’y admettre des prélats, réglaient le temps et la durée de leurs assemblées, réduisaient le nombre des suppôts de la justice, et réformaient les abus qui s’étaient introduits dans les tribunaux. Il destina les confiscations à l’extinction des rentes sur son trésor : il proscrivit toutes les grâces héréditaires, et révoqua les dons excessifs faits par ses deux prédécesseurs.
Il défendit de conseiller au monarque toutes lettres contraires aux anciens règlements, et déclara le chancelier coupable de prévarication s’il en scellait de cette espèce. C’est de la même époque que fut reçue, dit du Tillet, la maxime, qu’en fait de justice on n’a égard à lettres missives. En donnant des lettres d’anoblissement à des familles roturières ; en exigeant les droits d’amortissement et de franc-fief ; en vendant la liberté aux serfs de ses domaines ; en donnant aux seigneurs cet exemple, qu’ils suivirent, et qui amena dans les campagnes une révolution à peu près semblable à celle que l’établissement des communes avait produite dans les villes ; en établissant dans chaque bailliage un capitaine général pour commander les milices, et dans les principales villes un capitaine pour commander la bourgeoisie ; Philippe continua le grand ouvrage de l’affermissement progressif de l’autorité royale sur la ruine du gouvernement féodal.
Le continuateur de l’histoire de Nangis l’accuse d’avoir trop chargé la France d’impôts. Girard de la Guette, surintendant de ses finances, convaincu d’avoir détourné douze cent mille livres, fut arrêté après la mort du roi ; et il allait périr sur l’échafaud, lorsqu’il expira dans les tortures de la question. Cet exemple, celui d’Enguerrand de Marigny, celui de la Brosse, et d’autres encore, rendaient ce poste bien dangereux.
Mais l’ambition ne s’en trouvait pas moins empressée à le remplir. Philippe avait formé le projet d’établir en France l’uniformité des poids et des mesures, qui n’a pu être introduite que dans le changement de toutes choses qui a marqué la fin du XVIIIe siècle. Ce prince avait aussi le dessein de se réserver à lui seul le droit de battre monnaie ; droit qui, depuis la décadence de la monarchie, sous les faibles successeurs de Charlemagne, avait été concédé à un grand nombre de seigneurs et d’évêques, ou usurpé par eux.
Il envoya dans toutes les provinces des commissaires pour préparer l’exécution d’une mesure si importante, mais dont le succès était alors trop difficile. On voit, par une commission du 13 décembre 1320, que Pierre de Cahours, maître des monnaies, fut chargé d’aller à Bordeaux saisir les coins des monnaies d’Edouard. Le roi acheta de Charles de Valois, son oncle, les monnaies de Chartres et d’Anjou ; et de Louis de Clermont, seigneur de Bourbon, celles de Clermont et du Bourbonnais ; mais les commissaires trouvèrent partout beaucoup d’opposition et de difficultés ; la mort précipitée du roi ne lui permit pas de les surmonter.
Les ligues s’étaient renouvelées entre le clergé, la noblesse et plusieurs villes du royaume ; et il est permis de douter que, dans le cours d’une plus longue vie, le succès eût couronné les généreux efforts du monarque. Le règne de Philippe fut marqué par la création de dix-sept évêchés et par l’érection du siège de Toulouse en métropole. On voit par deux lettres de Jean XXII, qu’il demanda l’agrément du roi pour ces créations.
Philippe reçut et fit publier le Recueil des constitutions de Clément V, vulgairement appelées Clémentines : mais les décrétales de Boniface VIII, connues sous le nom de Sexte, ne purent obtenir la même faveur.
On découvrit, sous le règne de Philippe le Long, une bien singulière conspiration (1320). Les juifs, chassés de France par Philippe le Bel, rappelés par son successeur, et qui, répandus dans la France et souvent persécutés, occupaient, à Paris, les rues de la Juiverie, de Nazareth et de Jérusalem, avaient éprouvé les plus cruels traitements contre la volonté du roi.
Une troupe de bandits, de fainéants et de bergers, à qui on donna le nom de Pastoureaux, n’ayant pour armes que la mallette et le bourdon, et se disant croisés pour la Palestine, poursuivit partout les juifs, ne leur offrant que le choix du baptême ou de la mort, et en fit périr un très grand nombre. Elle osa venir forcer le Châtelet de Paris, précipita le prévôt du haut de l’escalier, se rangea ensuite en bataille sur le pré aux Clercs, sortit de la capitale, sans être poursuivie, parcourut les provinces, et arriva en Languedoc, où elle fut enfin attaquée et dissipée.
Mais les violences de ces misérables avaient exaspéré les juifs jusqu’à la fureur. On accusa ceux-ci d’avoir, à l’instigation des rois de Tunis et de Grenade, qui craignaient une nouvelle
croisade, engagé les lépreux à empoisonner les puits et les fontaines, en y jetant des sachets remplis d’herbes vénéneuses, mêlées de sang humain. On pendit, on brûla un grand nombre de juifs et
de lépreux ; et tous les juifs furent de nouveau chassés de France.